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PYTHAGORAS.

avec un grand zèle.] Son affection pour le bien public le détermina à porter ses instructions au palais des grands [1] : il n’eut pas de peine à comprendre que s’il tournait du bon côté l’esprit des princes et des premiers magistrats, il répandrait aisément et amplement sur les autres hommes les fruits de sa philosophie. Il eut le bonheur et la gloire d’avoir formé des disciples qui furent d’excellens législateurs, un Zaleucus, un Charondas et quelques autres [2]. Qui dit législateur, dit un homme qu’on doit regarder comme le meilleur présent qui puisse être fait aux sociétés. Ceux qui ont donné des lois sont plus dignes d’admiration, et d’une louange immortelle, que les plus grands conquérans. Néanmoins leur mémoire n’est point passée jusqu’à nous avec le même fracas que celle des Cyrus, et des Alexandre ; il s’en faut bien. C’est que notre esprit, étant peu capable de connaître la véritable grandeur, en attache faussement l’idée aux actions qui font du bruit. Il ne saurait discerner le grand d’avec l’éclatant [3] : et ainsi la vie d’un homme qui s’occupe à remédier aux maux intérieurs de l’état, par de bonnes lois, est un objet qui ne frappe guère ; c’est parce qu’un tel ouvrage se fait doucement. Mais si l’on subjugue des villes et des provinces, si l’on fait périr des millions d’hommes, si l’on en réduit dix fois autant à l’aumône, on s’acquiert un nom tellement illustre, que la postérité la plus reculée n’en parle qu’avec des transports d’admiration. Quoi qu’il en soit, ce sera éternellement une grande gloire pour Pythagoras, auprès de ceux qui savent juger des choses, que d’avoir fourni au monde quelques bons législateurs. C’est une gloire qui rédonde sur toute la philosophie, comme Sénèque l’a bien observé : Postquam, surrepentibus vitiis, in tyrannidem regna versa sunt : opus esse cæpit legibus, quas et ipsas inter initia talere sapientes. Solon, … Lycurgus … Zaleuci leges Charondæque laudantur, hi non in foro, nec in consultorum atrio, sed in Pythagoræ Latacito illo sanctoque secessu didicerunt jura, que florenti tune Siciliæ, et per Italiam Græciæ ponerent [4]. Outre qu’il s’appliquait fortement à pacifier les guerres qui s’élevaient dans l’Italie, et les factions intestines qui troublaient les villes [5]. Il ne faut faire la guerre, disait-il souvent, qu’à ces cinq choses, aux maladies du corps, à l’ignorance de l’esprit, aux passions du cœur, aux séditions des villes et à la discorde des familles. Voilà cinq monstres qu’il faut combattre à toute outrance par le fer et par le feu. Sustulisse penitùs omnes discordias, non à notis solùm et familiaribus, eorumque posteris ad aliquot secula, sed ab omnibus omninò Italiae atque Siciliæ civitatibus, tam intestinas quàm externas, auctor est Porphyrius in ejus vitâ : qui addit, hoc apophthegma erebrò ei in ore fuisse, fugandum omni conatu, et igni atque ferro, et quibuscumque denique machinis præcidendum ; à corpore quidem morbum ; ab animâ, ignorantiam ; à ventre, luxuriam, à civitate seditionem ; à familiâ, discordiam [6]. Il ne faut pas s’étonner que les habitans de Crotone aient voulu que leur sénat se conduisît par les conseils d’un si excellent personnage. C’est Valère Maxime qui l’a dit, pour faire voir que l’autorité de Pythagoras était reconnue hors de son collége. Pythagoræ tanta veneratio ab auditoribus tributa est, ut quæ ab eo acceperant, in disputationem deducere nefas existimarent, quinetiam interpellati ad reddendam caussam ; hoc solùm respondebant ; ipsum dixisse : Magnus honos, sed schola tenùs. Illa urbium suffragiis tributa est. Enixo Crotoniatæ studio ab eo petierunt ut senatum ipsorum, qui mille hominum numero constabat, consiliis suis uti pateretur [7]. Le même auteur nous apprend que plusieurs villes d’Italie

  1. Πυθαγόρας τοῖς πρωτεύουσιν Ἰταλιῶτων. Ac Pythagora principes Italorum Plutarchus, cum principibus viris philosopho esse disputandum, pag. 777, A.
  2. Voyez Jamblich., in Vitâ Pythagoræ, lib. I, cap. XXX.
  3. Voyez Pline le jeune, epist. XVI, lib. III, où il fait voir alia esse clariora, alia majora.
  4. Seneca, epist. XC, pag. m. 369. Voyez les Miscellaneæ Observationes de Pierre Petit, pag. 265.
  5. Voyez la Lettre qu’on prétend qu’il écrivit à Anaximène, apud Laërt., lib. VIII, n. 49.
  6. Menagius in Laërt., lib. VIII, n. 50.
  7. Valer. Maximus, lib. VIII, cap. XV, num. i, in Externis.