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PÉRICLÈS.

trouvé cette circonstance dans aucun ancien auteur ; cependant je n’ose dire que M. Moréri l’ait inventée, ou que l’auteur moderne qui aura pu la lui fournir en soit l’inventeur ; je dis seulement que la possession où il s’est mis de ne citer rien que d’une manière vague, m’empêche de m’inscrire en faux contre plusieurs faussetés, et m’oblige à ne proposer qu’un doute. II. Puisque Plutarque n’a dit autre chose, sinon que Périclès remporta une victoire sur les Sicyoniens à Néméa [1], d’où vient que M. Moréri assure que cette bataille fut donnée près le fleuve de Néméa ? III. En tout cas cette rivière n’est point assez considérable pour être nommée un fleuve. Les fautes qui suivent se trouvent dans le supplément. IV. Périclès ne fortifia point l’isthme de Corinthe d’une bonne muraille. On a confondu des choses qui différent extrêmement l’une de l’autre. Il fit bâtir à Athènes ce qu’on appelait la longue muraille [2]. C’était plutôt l’affaire des habitans du Péloponnèse de fortifier l’isthme de Corinthe, que celle des Athéniens. V. Plutarque et Hérodote sont mal cités : le dernier ne fait aucune mention, ni des Apophthegmes, ni des actions de Périclès, et l’autre ne dit qu’une partie des choses qui sont narrées dans le supplément. Le beau mot amicus usquè ad aras, n’étant point dans la Vie de Périclès, il fallait citer le livre où Plutarque le rapporte [3]. VI. L’article du fils de Périclès est très-mauvais : personne ne le saurait lire sans croire que ce personnage commandait en chef la flotte des Athéniens qui défit celle de Lacédémone aux îles Arginuses. Il fit des merveilles dans cette expédition, nous dit-on, et brûla la flotte des ennemis. C’est ainsi qu’il eût fallu s’exprimer, si l’on eût parlé d’un homme qui eût eu lui seul le commandement. On venait de dire que les Athéniens le choisirent pour prendre la place d’’Alcibiade. Cela est encore plus trompeur pour ceux qui n’ignorent pas qu’Alcibiade avait été capitaine général des Athéniens [4]. La vérité est que l’on choisit à la place d’Alcibiade dix généraux, et que le fils de Périclès fut l’un de ces dix [5]. Xénophon l’assure très-nettement, et il ne dit point que la flotte lacédémonienne fut brûlée ; il dit seulement qu’elle fut battue, et qu’elle se retira diminuée de soixante-dix vaisseaux [6]. Notez que le commandant de jour dans cette bataille n’était point Périclès ; c’était Thrasybule [7]. Si l’on m’objecte que le supplément de Moréri ne laisse pas ignorer que Périclès avait des collègues, car on y trouve qu’il fut condamné avec les sept autres capitaines de l’armée à perdre la tête ; je réponds que cela n’empêche pas que ma censure ne soit juste. Un auteur qui se contredit par l’emploi de certaines phrases qui s’entre-détruisent, narre mal un fait, brouille et trompe son lecteur. Voici une nouvelle tromperie. Un lecteur que cette dernière phrase aurait pu désabuser de la pensée qu’il aurait eue, que Périclès commandait en chef, ne croira-t-il pas qu’il n’y avait que huit commandans sur cette flotte ? Il se trompera donc, car is étaient dix : il est vrai qu’on n’en condamna que huit à perdre la vie. Il eût donc fallu s’exprimer ainsi : il fut condamné avec sept autres. Xénophon observe qu’on n’en fit mourir que six, et que les deux autres étaient absens [8]. C’était lui ou Diodore de Sicile qu’il fallait citer dans le supplément, et non pas Plutarque qui n’a parlé qu’en passant du fils de Périclès [9], et sans circonstancier les causes de son supplice. Elles furent si injustes, que jamais peut-être sous les monarchies les plus despotiques, il ne s’est rien vu de plus énorme. On fit mourir six généraux qui venaient de remporter la plus insigne victoire que les Grecs eussent jamais remportée

  1. Ἐν δὲ Νεμέα, apud Nemeam. Plut., in Pericle, pag. 163, D.
  2. Μακρὸν τεῖχος, longum murum. Id., ibid., pag. 160, init.
  3. C’est le Traité de vitioso Pudore, pag. m. 531. Voyez aussi Aulu-Gelle, lib. I, c. III.
  4. Voyez Plutarque, dans la Vie d’Alcibiade, pag. 210.
  5. Voyez Xenophon, lib. I de Gestis Græcorum, pag. m. 259. Voyez aussi Diodore de Sicile, lib. XIII, cap. C.
  6. Xenophon, ibid., pag. 261.
  7. Diodor. Siculus, lib. XIII, cap. XCVII.
  8. Xenophon, lib. I de Gestis Græcor., pag. 265.
  9. Plut., in Vitâ Periclis, sub fin., p. 172.