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PÉRICLÈS.

rendre bien glorieuse ; Lloyd, dis-je, nous débite qu’il s’agit là d’une Aspasie, femme de Cléobule. Il se trompe visiblement ; car, en premier lieu, l’interlocuteur de Xénophon ne s’appelle pas Cléobule, mais Critobule ; en second lieu, Socrate, qui est l’autre interlocuteur, ne parle point de la femme de Critobule : il parle d’Aspasie la réthoricienne, la savante ; il dit qu’elle donnera à Critobule de meilleurs préceptes, que lui, Socrate, n’en saurait donner. Συςήσω δὲ σοὶ ἐγὼ καὶ Ἀσπασίαν ἣ ἐπιςημονέςερον ἐμοῦ σοὶ ταῦτα πάντα ἐπιδέιξει. Ego tibi exempli causâ Aspasiam constituam, quæ doctiùs hæc omnia quàm ego tibi monstrabit [1].

Un commentateur de Minutius Félix n’est point exact dans les paroles que l’on va lire. De Pythagorâ referunt Diogenes Laërtius, lib. 8, et Lucianus in Gallo eum dixisse se primùm fuisse Æthalidem Mercurii filium, indè Euphorbum Panthi filium, mox Aspasiam nobile Periclis scortum, deindè Cratem Cynicum [2]. Voilà trois déménagemens consécutifs de Pythagoras : il passa du corps d’Æthalide dans celui d’Euphorbus ; puis dans celui d’Aspasie, et enfin dans celui de Cratès. Si le commentateur était exact, on trouverait cette liste toute entière dans Diogène Laërce, et toute entière dans Lucien ; mais on n’en trouve qu’une partie dans l’un, et une partie dans l’autre. C’est une mauvaise manière de citer. Je compte cela pour la 1re. méprise de cet auteur. La 2e. consiste en ce qu’il rapporte mal le narré de Diogène Laërce, où l’on trouve que Pythagoras se vantait d’avoir été successivement Æthalide, Euphorbus, Hermotime, Pyrrhus, Pythagoras. La 3e. est qu’il ne rapporte pas mieux la narration de Lucien : car s’il l’avait bien copiée, il aurait dit que l’âme de Pythagoras fut premièrement dans le corps d’Euphorbus, puis dans celui de Pythagoras, puis dans celui d’Aspasie, puis dans celui de Cratès, ensuite dans celui d’un roi, etc., et enfin dans celui d’un coq. La 4e. est que, pour agir raisonnablement, il ne fallait pas citer sur cette matière un homme qui ne fait que badiner, et qui prend un siècle postérieur à Pythagoras : il ne fallait citer que ceux qui rapportent ce que Pythagoras disait lui-même, en parlant de la part qu’il avait eue aux transmigrations de l’âme.

Les fautes de M. Moréri ne sont pas en fort grand nombre. Je ne le critique que sur une chose ; c’est qu’il a dit qu’Aspasie était très-savante en philosophie et en éloquence, et surtout en poésie. Je ne prétends pas disputer à cette femme, ni la science philosophique, ni l’art de parler ; ce n’est point à cet égard que je m’érige en censeur de M. Moréri. Je dis seulement qu’il a eu tort de donner la poésie pour la science en quoi Aspasie excellait le plus. Cela est si faux, qu’il y a lieu de douter qu’elle ait jamais fait des vers. Je pense qu’Athénée est le seul auteur que l’on pourrait alléguer, si l’on voulait soutenir qu’elle a entendu la poésie ; mais le témoignage de cet auteur est bien faible pour cela ; car il ne dit autre chose, sinon qu’on avait des vers qui étaient attribués à Aspasie [3], et qu’Hérodicus avait publiés. Pour marquer juste en quoi elle a excellé, il faut s’arrêter à la réthorique : c’était son fort. Périclès ne dédaignait pas de réciter les harangues qu’elle composait [4]. Elle entendait mieux la politique que la philosophie ; et puisque Périclès la consultait sur l’art de régner, il ne faut pas trouver étrange que d’autres grands politiques fassent un grand cas des conseils de femme. J’ai dit ci-dessus qu’elle enseigna cette science au grand Socrate.

(Q) Les fautes de M. Moréri. ] I. Je doute que les maîtres qui enseignèrent la philosophie à Périclès, fussent jaloux de la connaissance universelle qu’il s’en acquit. Les trois auteurs que M. Moréri cite [5], ne parlent point de cela. Je n’ai point

  1. Xenophon, in Œconomico, pag. m. 482.
  2. Ouzelius, in Minutium Felicem, pag. 325, edit. 2672, in-8o.
  3. Ἐν τοῖς ϕερομένοις ὡς αὐτῆς ἔπεσιν, ἅπερ Ἡρόδικος ὁ Κρατήτιος παρέθετο. In carminibus ipsi attributis, et ab Herodico Cratetio publicatis. Athen., lib. V, pag. 219. Gyraldus, de Poëtis Græcis, pag. 170, edit. 1696, dit qu’Athénée parle des vers d’Aspasie en d’autres endroits, que lui Gyraldus ne cite pas. Je n’ai point eu le temps d’avérer cela.
  4. Plato, in Menexeno, pag. m. 517.
  5. Plutarque, en sa Vie. Diodore de Sicile, lib. XII. Thucidide, lib. 2, 3 et seq.