Périclès augmentèrent encore cette passion. C’est pourquoi Elpinice, sœur de Cimon, peu contente des éloges qu’on donnait aux victoires de Périclès, ne fut pas assez maîtresse de son dépit pour ne les pas critiquer : il la rembarra en lui alléguant un vers qui portait : ne vous fardez pas, vous êtes trop vieille pour cela. Rapportons les paroles de Plutarque traduites par Amyot [1]. Ayant doncques Pericles subjugué la ville de Samos, il s’en retourna à Athenes, la ou il feit honorablement inhumer : Les os de ceulx qui estoient morts en cette guerre, et luy mesme fit le blason funebre à leur louange selon la coustume, dont il fut merveilleusement estimé ; de sorte que quand il descendit de la chaire ou il avoit harangué, les autres dames de la ville luy venoyent baiser les mains, et luy mettoient des chapeaux de fleurs et des couronnes sur la teste, comme l’on fait aux champions victorieux, quand ils retournent des jeux ou ilz ont emporté le pris. Mais Elpinice s’approchant de luy. Vrayement, dit-elle, ce sont de beaux faicts que les tiens, Pericles, et bien dignes de chapeaux de triumphe, de nous avoir perdu beaucoup de bons et vaillans citoyens, non point en guerroyant les Medois, Phœniciens, et barbares, comme fait mon frere Cimon ; ains en destruisant une cité qui est de nostre propre nation et nostre alliée. A ces paroles respondit Pericles taut doulcement, en riant, ce vers d’Archilochus,
Si vieille estant ne te perfume plus [2].
Qu’eût-on pu choisir de plus propre
à mortifier cette dame ? On parle
d’une autre réponse qui n’est pas si
glorieuse à Périclès. Il était l’un des
accusateurs de Cimon dans une affaire
capitale. Elpinice fut le supplier très-humblement
de ne pas nuire à son
frère : vous êtes trop vieille, lui répondit-il,
pour réussir dans une telle
sollicitation. Ἐλθούσης δὲ πρὸς αὐτὸν τῆς
Ἐλπινίκης καὶ δεομένης, μειδιάσας εἶπεν,
Ὦ Ἐλπινίκη, γραῦς εἶ, ὡς πράγματα
τηλικαῦτα δράσειν. Quùm adisset autem
eum supplex Elpinice, ridens, at
enim anus es, inquit, Elpinice : anus
es nimiùm, quàm ut res tantas transigas
[3]. Cela ne veut-il pas dire,
si votre jeunesse me pouvait persuader
qu’en m’accordant la jouissance
de votre corps, vous paieriez les
services que je rendrais à votre frère,
je le servirais ; mais vous n’êtes point
d’un âge à me faire souhaiter cette
marque de reconnaissance, vous n’obtiendrez
donc rien de moi ? On pourrait
répondre deux choses pour Périclès :
la première, qu’il ne parlait pas
sérieusement ; la seconde, qu’il n’avait
en vue que le mépris que feraient de
la vieillesse d’Elpinice les autres personnes
qu’elle tâcherait de fléchir.
Une belle et jeune solliciteuse de procès
vient à bout de mille choses que
les prières d’une vieille femme n’obtiennent
point. Plutarque observe
que nonobstant cette réponse, Périclès
ne soutint l’accusation que faiblement
et par manière d’acquit.
D’autres disent qu’il trouva Elpinice
fort à son goût, et qu’il jouit d’elle
en récompense des bons offices qu’il
rendit à Cimon. Les paroles que je
cite nous apprennent que cette femme
n’était pas fort difficile à gagner,
car elle couchait avec son frère. Καὶ
Κίμωνος δ᾽ Ελπινίκη τῇ ἀδελϕῇ παρανόμως
συνόντος, εἶθ’ ὕςερον ἐκδοθείσης Καλλίᾳ,
καὶ ϕυγαδευθέντος, μισθὸν ἔλαβε τῆς
καθόδου αὐτοῦ ὁ Περικλῆς τὸ τῇ Ελπινίκῃ
μιχθῆναι. Cùm Cimon Elpinice sorore.
quam post nuptum Calliæ dedit, contra
leges abuteretur, exilioque damnatus
fuisset, ejus reditus mercedem
Pericles accepit Elpinices concubitum
[4]. Sans compter qu’elle s’abandonna
à un peintre [5]. Notez,
1°. qu’Athénée, fondé sur le témoignage
d’Aristhène, suppose qu’elle
gagna le suffrage de Périclès pour le
retour de son frère en lui accordant
le déduit [6] ; 2°. que selon Plutarque
elle reçut de Périclès la réponse
de rebut à cause de sa vieillesse,
en le sollicitant pour un procès cri-
- ↑ Amyot, dans la version de la Vie de Périclès, pag. 601, 602, édit. de Vascosan, in-8o.
- ↑ Ταῦτα τῆς Ἐλπινίκης λεγούσης, Περικλῆς μειδιάσας ἀτρέμα, λέγεται τὸ τοῦ Ἀρχιλόχου πρὸς αὐτὴν εἰπεῖν,
Οὐκ ἂν μύροισι, γραῦς ἐοῦσ᾽ ἠλείϕεο. Sic fata Elpinice, subrisit Pericles, et submissè hoc ei respondit Archilochi, Quandò anus es, ungi minùs tibi convenit, Plut., in Pericle, pag. 167.
- ↑ Idem, ibidem, pag. 157, E.
- ↑ Athen., lib. XIII, pag. 589, F.
- ↑ A Polygnatus. Voyez Plutarque, in Cimone, pag. 480.
- ↑ Athen., lib. XIII, pag. 589, F.