iours et retrencher quelque chose des trop grandes et excessives prosperitez humaines, en mestant et diversifiant la vie de l’homme du sentiment de bien et de mal, a fin qu’il n’y en ait pas un qui la passe entierement pure et nette de tout malheur, ains que, comme dit Homere, ceux là soyent reputez bien heureux, ausquels la fortune a contrepezé le bien avec le mal. Ce que je dis, etc. » Vous verrez ci-dessous [1] la suite de ces paroles.
Faisons quelques notes sur cette apologie que M. de Valois a voulu faire. Je dis en 1er. lieu, que tous les auteurs païens qui donnent à la divinité les fonctions de Némésis ne sont pas blâmables ; car ceux qui les lui donnent selon les idées que nous avons vues dans le passage d’Ammich Marcellin, ou suivant cette égalité et cette équité dont parle Dion Chryspstome, ne lui donnent rien d’indigne, ou qui ait besoin d’être dépouillé d’une imperfection morale. Mais il y a eu je ne sais combien de poëtes et d’orateurs, et d’autres gens, qui ont entendu par Némésis une nature chagrine ; qui n’avait point de plus grand plaisir que de renverser les grandeurs humaines, et d’empoisonner de quelque infortune les événemens qui pouvaient donner le plus de joie aux illustres personnages. En ce sens-là, il était aussi impie de se servir du mot νέμεσις que de se servir de celui de ϕθόνος par rapport à Dieu ; et ainsi M. de Valois n’a point dû prétendre qu’on peut excuser le dernier par le premier. Je dis en 2e. lieu, que le chapitre de la morale d’Aristote, où il nous renvoie, ne lui est pas favorable. Il est vrai que l’on y trouve qu’il y a trois sortes d’envie, deux aux extrémités et une au milieu. Celle du milieu est appelée νέμεσις nemesis, et consiste à être fâché qu’un homme qui n’est pas digne d’être heureux soit pourtant heureux. L’extrémité en excès s’appelle ϕθόνος, et consiste à être fâché qu’il y ait des gens heureux. L’extrémité en défaut s’appelle ἐπιχαιρεκακία, et consiste à se réjouir du malheur d’autrui [2]. Cette doctrine n’est pas fort juste, et a été fort bien réfutée par le commentateur Eustathius. Il fait voir qu’un homme qui se réjouit du mal d’autrui s’afflige du bien d’autrui ; et par conséquent que la passion nommée ϕθόνος et la passion nommée ἐπιχαιρεκακία appartiennent aux mêmes personnes, et non pas l’une à celui-ci, l’autre à celui-là. Ce ne sont donc pas deux extrémités au milieu desquelles on puisse placer la passion appelée νέμεσις Mais laissant là cette dispute, je me contente d’observer que le style populaire, à quoi l’on se conformait dans les matières de religion, n’admettait pas ces distinctions scrupuleuses qu’Aristote a employées en traitant de la morale, et qui ne sont la plupart du temps que des abstractions de logique. Il ne faut donc pas s’imaginer que la nature ou le caractère de la déesse Némésis ait eu pour règle dans l’esprit de ceux qui la redoutaient, et qui parlaient de sa conduite, la différence que ce philosophe a marquée entre νέμεσις, l’indignation, et ϕθόνος l’envie. Disons en 3e. lieu, que rien ne peut être plus préjudiciable au dessein de l’apologiste, que les secours qu’il a prétendu tirer de la morale d’Aristote ; car selon ce philosophe le mot ϕθόνος signifie le chagrin qu’on a du bonheur d’autrui en général, soit que la personne heureuse mérite de l’être, soit qu’elle ne le mérite pas. On appelle ϕθονερὸς celui qui est sujet à cette passion [3]. Il surpasse celui qu’on nomme νεμεσητικὸς, C’est-à-dire qui ressent ce que l’on appelle νέμεσις le chagrin de la prospérité des indignes. Or il est certain qu’Hérodote a donné à Dieu l’épithète de ϕθονερὸς : donc par la doctrine d’Aristote il est plus coupable que s’il ne se fût servi que du terme de nemesis, ou de nemesiticus. C’est donc fournir des preuves aux accusateurs d’Hérodote, et non pas à ses défenseurs, que d’alléguer le IIe. livre de la Morale d’Aristote, À quoi songeait donc M. de Valois ?
- ↑ Après la citation (135).
- ↑ Voyez la Morale d’’Aristote, liv. II, chap. VII, pag. m. 19, et la Paraphrase d’Andronicus, pag. m. 110,
- ↑ Ὁ μὲν γὰρ νεμεσητικὸς, λυπεῖται ἐπὶ τοῖς ἀναξίως εὖ πράττουσιν· ὁ δὲ ϕθονερὸς ὑπερϐάάλλων τοῦτον. ἐπὶ πᾶσι λυπεῖται. Nam qui ad indignandum propensus est, is dolet eorum rebus secundis qui eis indigni sunt. Invidus hunc superans, rebus omnibus secundis contabescit. Aristoteles, ubi suprà.