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PÉRICLÈS.

quelques particuliers était compensée par un plus grand avantage du public.

Le tour que M. de Valois a pris pour justifier Hérodote est un peu plus ingénieux que celui des autres apologistes. Voyez son commentaire sur un endroit où Ammien Marcellin nous donne la description de la déesse Némésis. Cet historien ayant parlé de la fin tragique de quelques grands criminels, ajoute : Hæc et hujusmodi quædam innumerabilia ultrix facinorum impiorum, bonorumque prœmiatrix aliquoties operatur. Adrastia (atque utinàm semper), quam vocabulo duplici etiam Nemesim appellamus..... : hæc ut regina causarum, et arbitra rerum ac disceptatrix, urnam sortium lemperat, accidentium vices alternans : voluntatumque nostrarum exorsa interdùm alio, quàm quò contendebant, exitu terminans, multiplices actus permutando convolvit. Eademque necessitatis insolubili retinaculo mortalitatis vinciens fastus tumentes incassum, et incrementorum detrimentorumque momenta versans, ut novit, nunc erectas mentium cervices opprimit et enervat : nunc bonos ab imo suscitans, ad benè vivendum extollit [1]. Vous voyez bien qu’il suppose que cette déesse préside aux vicissitudes d’élévation et d’abaissement qui se voient dans le cours des choses humaines, et que c’est elle qui dirige ce jeu de bascule dont j’ai parlé quelque part [2] au sujet d’une réponse d’Ésope toute pareille à la maxime de Xénophon ; mais n’oublions pas qu’il suppose aussi qu’elle dispense cette alternative avec une souveraine équité [3]. M. de Valois observe, 1°. Qu’on la nomme Némésis, parce qu’elle rend à un chacun ce qui lui est dû ; 2°. Que Platon, au IVe. livre de Republicâ, la nomme la messagère de la Justice ; 3°. Que Dion Chrysostome, dans sa Harangue LXIV, a remarqué que la Fortune en tant qu’équitable a été nommée Némésis, το ἶσον αὐτῆς Νέμεσις. Equitas ejus (Fortunæ) Nemesis dicta est ; 4°. Que les anciens ont attribué à Dieu une certaine puissance qui mortifiait les orgueilleux, et qui ruinait toutes les choses sublimes ; 5°. Que cette puissance était nommée, ou envie ϕθόνος, ou indignation νέμεσις ; 6. Que l’indignation ou nemesis, a beaucoup d’affinité avec l’envie, et que dans le IIe. livre de la Morale d’Aristote elle tient le milieu entre l’envie et le vice qui fait qu’on se réjouit du malheur d’autrui [4] ; 7°. Qu’Hérodote, sur ce fondement, a fait dire à Solon que toutes les divinités sont envieuses, et à Artaban, que Dieu était envieux. Artabanus apud eundem Herodotum in lib. 7. iisdem verbis alloquitur Xerxem : ὁ δὲ θεὸς γλυχὺν γεύσας τὸν αἰῶνα, ϕθονερὸς ἐν αὐτῷ εὑρίσκεται ἐών. At Deus qui suavi perfruitur ævo, invidus ipse esse deprehenditur. Quæ quidem Herodoti verba immeritò reprehendit Plutarchus [5] ; 8°. Que Plutarque a censuré sans raison ces paroles d’Hérodote [6] ; car si nemesis est attribué à Dieu justement, pourquoi l’envie ϕθόνος ne lui serait-elle pas attribuée ? l’un de ces vices n’est pas plus petit que l’autre parmi les hommes : mais quand ces sortes de choses sont dites de Dieu, elles se dépouillent de tout défaut, et on les doit interpréter d’une façon favorable ; et si l’on ne le faisait pas, Plutarque lui-même serait convaincu du même pêché, puisqu’il a dit dans la Vie de Paul Émile [7], Οὐδενὶ γὰρ δε τῶν ἀγαθῶν ἐπίϕθονον, πλὴν ἔ τι δαιμόνιον.... etc. [8] ; c’est-à-dire, selon la version d’Amiat : « Æmilius estoit publiquement loué, benit et honoré de tout le monde, et de nul homme de bien haï ni envié. Si ce n’est qu’il y ait quelque Dieu, duquel le propre office soit oster tous-

  1. Ammian. Marcellin., lib. XIV, c. XI, pag. m. 59, 60.
  2. Tom. VI, pag. 284, remarque (I) de l’article Ésope.
  3. Jus Quoddam sublime numinis effica- cis.… substantialis tutela... quam theologi veteres fingentes justitie filiam ex abditâ æternitate tradunt omnia despectare terrena. Ammien. Marcellin., lib. XIV, cap. XI, pag. 59.
  4. Ex Henrico Valesio in Marcellin., p. 59.
  5. Valesius, in Marcellin., pag. 60. On verra à la fin de cette remarque pourquoi je cite ce passage.
  6. Notez que M. de Valois ne range pus bien ce discours ; car Plutarque ne censure point les paroles d’Artaban, mais celles de Solon, que M. de Valois avait citées avant que de citer celles d’Artaban.
  7. Plut., in Paulo Æmilio, pag. 273, F.
  8. Ex Valesio, in Ammian. Marcell., p. 59.