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PÉRICLÈS.

Comines [1], et celle d’un chirurgien à un moine de Saint-Denis. « Il est certain qu’avant Charles VIII, la vérole était inconnue en France : l’armée de ce prince en périt presque toute. Parce que ce mal n’étant pas encore connu, on n’y pouvait apporter de remède : ce qui fait voir que ce n’était pas la lèpre. La nécessité y avait fait trouver des remèdes, ce qui a enrichi quantité de chirurgiens, un desquels, fort reconnaissant de ce bonheur, s’en alla un jour à Saint-Denis, et s’agenouilla devant la statue de Charles VIII pour lui en rendre grâce ; mais comme un moine lui dit qu’il se trompait, et que ce n’était pas l’image d’un saint : Taisez-vous, mon père, répondit-il, je sais bien ce que je fais, il est bien saint pour moi, puisqu’il m’a fait gagner trente mille livres de rente ; ainsi c’est une action de justice à moi de l’en remercier [2]. » L’auteur du Moyen de Parvenir ne fait pas la somme si grande, et il nomme le chirurgien. Voici ses paroles. Vous me faites souvenir ce moine de Saint-Denis en France, qui voulut faire l’entendu, voyant maître Thierre de Héry [* 1] à genoux, tourné vers la figure de Charles VIII. Le moine lui dit : Monsieur mon ami, vous faillez ; ce n’est pas l’image d’un saint que celle devant qui vous priez. Je le sais bien, dit-il, je ne suis pas si bête que vous ; je connais que c’est la représentation du roi Charles VIII, pour l’âme duquel je prie, parce qu’il a apporté la vérole en France ; ce qui m’a fait gagner six ou sept mille livres de rente [3]. Il ne faut point finir sans citer Virgile. Il était fort disposé à déifier ses bienfaiteurs : ses terres ayant été épargnées par une grâce particulière d’Octavius, il le qualifia dieu.

O Melibœe, Deus nobis hæc otis fecit :
Namque erit ille mihi semper Deus : illius aram
Sæpè tener nostris ab ovilibus imbuet agnus [4].


Le bon Mathurin Cordier [5], par une fraude pieuse et bien pardonnable, faisait accroire à ses petits écoliers que ces paroles étaient fort dévotes. Il les traduisit en vers français qui commencent par, Mélibée, ce bien nous vient d’un Dieu seul sage. Ce n’était point la pensée de Virgile, il ne parle que d’Auguste [6].

(L) ... L’une des ses preuves de la malignité d’Hérodote, et ce que l’on a répondu. Cette preuve est tirée l’humeur jalouse …......., à quoi cet historien prétend que la nature divine est sujette. ] Voyez les paroles de Plutarque que j’ai rapportées ci-dessus [7]. Je m’étonne qu’il se soit borné à la réponse que Solon fit au roi Crésus, et qu’il n’ait pas, pour le moins, insinue que l’on trouve dans Hérodote plusieurs passages semblables. Il eût fortifié par là son accusation : il eût fait sentir qu’on ne pourrait pas justifier Hérodote, en alléguant que ce petit trait de médisance contre les dieux était échappé de sa plume par inadvertance : il eût fait connaître qu’un homme qui revient souvent à la même réflexion, est tout pénétré du venin qu’elle renferme, et de l’envie de le répandre et d’en infecter ses lecteurs. Il est certain qu’Hérodote à répété fort souvent la même maxime qu’il avait fait débiter à Solon. Voyez ci-dessus [8] ce qu’il a mis dans la bouche d’Artaban ; et voici ce qu’il suppose qu’un roi d’Égypte écrivit à Polycrate, tyran

  1. * La Monnoie, Ménagiana, IV, 317, dit que Bayle aurait dû observer, 1°. qu’au lieu de Thierre de Héry, faut lire Thierri de Héry ; 2°. que ce chirurgien n’est nommé là que pour mieux faire valoir le conte, puisqu’il n’est pas vrai dans le fond, qu’il soit jamais rien arrivé de tel à Thierri de Héry, la même chose ayant été déjà dite d’un certain maître Jean, dans les Contes d’Eutrapel, imprimés pour la première fois en 1549, sous le titre de Baliverneries d’Eutrapel. L’auteur de ces Contes est un conseiller au parlement de Rennes, nommé Noël du Fail de la Hérissaie.
  1. Voyez l’article Grégoire I, tom. VII, pag. 224, citation (54).
  2. Furetiériana, pag. 113, édition de Hollande.
  3. Moyen de Parvenir, pag. m. 578, 579.
  4. Virgil., eclog. I, vs. 6.
  5. Voyez ses Colloques.
  6. Conférez le 19e. vers :

    Sed tamen ille Deus qui sit, da, Tityre, nobis,

    avec le 43e. et suivans :

    Hìc illum vidi juvenem, Melibœe, quotannis
    Bis senos cui nostra dies altaria fumant.
    Hic mihi responsum primus dedit ille petenti :
    Pascite, ut antè, boves, pueri, submittite tauros.

  7. Citation (95).
  8. Citation (7) de l’article Artaban, fils d’Hystaspe, tom. II, pag. 448.