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PÉRIANDRE.

puis ce temps-là il vécut comme un furieux ; il fut cruel, et il fit mourir plusieurs personnes. Pour ce qui est de Cratéa, elle fit bien des complaintes sur sa destinée, et se tua. D’autres ne content pas ainsi l’aventure : ils veulent bien [1] que le commerce de Périandre avec sa mère ait été couvert sous les voiles d’un profond secret ; mais non pas qu’il ait ignoré qu’il couchait avec sa mère. Ils soutiennent que le jeu lui plut beaucoup, et qu’il ne fut en colère que parce que son inceste fut découvert. Il déchargea son chagrin sur ses sujets, et se comporta depuis tyranniquement.

Après que sa mère se fut tuée, il discontinua d’honorer la déesse Vénus, et de lui offrir des sacrifices ; mais enfin, à cause de quelques songes de Mélisse sa femme, il recommença la pratique de ce culte. C’est ce que Plutarque observe au commencement de son Banquet des sept Sages ; et il suppose que le jour du festin fut celui où Périandre recommença de sacrifier à cette déesse.

(D) Il y en a qui disent qu’il eut affaire avec sa femme depuis qu’elle fut morte. ] Voici un des contes d’Hérodote : il le fait en rapportant l’injustice que les femmes de Corinthe souffrirent sous Périandre. Ce tyran envoya consulter l’oracle des morts, pour apprendre des nouvelles d’un certain dépôt. Sa femme Mélissa apparut, et déclara qu’elle se garderait bien de révéler ce secret ; car j’ai froid, dit-elle, je suis toute nue, les habits avec lesquels on m’a enterrée ne me servent de rien, parce qu’ils n’ont pas été brûlés. Pour prouver, continua-t-elle, que ce que je dis est véritable, il me suffit d’observer que Périandre a mis son pain dans un four froid. Ce discours rapporté à Périandre lui parut très-vrai ; parce qu’il se ressouvint d’avoir eu affaire avec Mélisse après même qu’elle eut rendu l’âme [2]. Ταῦτα δὲ ὡς ὀπίσω ἀπηγγέλθη τῷ Περιάνδρῳ, πιςὸν γάρ οἱ ἦν τὸ συμϐόλαιον, ὃς νεκρᾷ ἐούσῃ Μελίσσῃ ἐμίγη. Hæc Periandro renunciata, ob illud argumentum fidem fecêre, quòd ipse cum Melissâ quamvis defunctâ coierat [3]. Il fit donc publier que toutes les femmes de Corinthe eussent à se rendre au temple de Junon. Elles obéirent, et se parèrent de tout ce qu’elles avaient de plus beau, comme pour un jour de fête ; mais les gardes que l’on fit cacher dans le temple les dépouillèrent toutes sans exception : les maîtresses et les servantes furent traitées de la même sorte. Tous leurs habits furent brûlés sur le tombeau de Mélisse. Cette femme était fille de Proclès, tyran d’Épidaure, et du côté de sa mère elle appartenait à de grands seigneurs qui régnèrent dans presque toute l’Arcadie [4]. Un auteur, dans Athénée, ne parle pas si avantageusement de la qualité de Mélisse : il assure que Périandre en devint fort amoureux [5], la voyant verser à boire à des ouvriers [6]

(E) Ce monarque lydien qui mangea sa femme. ] Le sieur de Rampalle, voulant prouver que notre siècle ne surpasse point en vices le temps passé, rapporte entre autres exemples d’intempérance, la voracité de Maximin, celle d’Albinus, celle de Phagon, et celle d’Astidamas ; et puis il dit que Cambyse, roi de Lydie, soupa une nuit de sa femme [7]. Il se trompe à l’égard du nom : je ne pense pas que l’on trouve qu’aucun roi de Lydie se soit appelé Cambyse ; et en tout cas il n’est pas vrai que celui qui dévora sa femme s’appelât ainsi. Il s’appelait Cambles. C’était un grand mangeur et un grand buveur. L’historien qui en parle insinue qu’il commit ce crime sans savoir ce qu’il faisait, et qu’il ne connut sa barbarie, que parce qu’il sentit dans sa bouche la main de sa femme en s’éveillant. Il se tua quand il sut que son action était connue. Ξάνθος δὲ ἐν τοῖς Λυδιακοῖς, Κάμϐλητα. ϕησὶ τὸν βασιλεύσαντα Λυδῶν πολυϕάγον γενέσθαι καὶ πολυπότην, ἔτι δὲ γαςρίμαργον. τοῦτον οὖν ποτε νυκτὸς τὴν ἑαυτοῦ γυναῖκα κατακρεουργήσαντα καταϕαγεῖν. ἔπειτα πρωὶ εὑρόντα τὴν χεῖρα

  1. Aristipus, apud Diog. Laërtium, lib. I, num. 60.
  2. Herodot. lib. V, cap. XCII.
  3. Idem, ibidem, pag. m. 325.
  4. Diog. Laërt., lib. I, num. 94.
  5. Pyrhænetus. lib. III de Æginâ, apud Athen., lib. XIII.
  6. Ὠνοχόει τοῖς ἐργαζομένοις. Operariis vinum ministrantem. Ibidem.
  7. Rampalle, Que le monde ne va pas en empirant, pag. 94.