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PERGAME.

de faire périr Eumènes, et pour cet effet il fait être assuré sur quel vaisseau il était[1]. On le découvrit en dépêchant une chaloupe sous prétexte de lui porter une lettre ; après cela Annibal commanda aux officiers des vaisseaux de s’attacher principalement à celui d’Eumènes : ils le firent ; et ils l’auraient pris, s’il ne se fût retiré à force de voiles. Les autres vaisseaux de Pergame se battirent vigoureusement ; mais les serpens que l’on y jeta les obligèrent à s’enfuir [2]. Les Romains ayant su ces choses, envoyèrent des ambassadeurs en Asie, pour pacifier ces deux princes, et pour demander à Prusias de leur livrer Annibal, qui prévint l’effet de cette demande en s’empoisonnant [3]. Ce fut environ l’an 570 de Rome.

(I) Il mourut fort âgé. ] Il vécut quatre-vingt-deux ans, si nous en croyons Lucien. Ἄτταλος δὲ, ὁ ἐπικληθεὶς Φιλάδελϕος, τῶν Περγαμηνῶν καὶ οὗτος Βασιλέυων, πρὸς ὃν καὶ Σκηπίων ὁ τῶν Ρωμαίων ςρατηγὸς ἀϕίκετο, δυὸ καὶ ὀγδοήκοντα ἐτῶν ἐξέλιπε τὸν βίον. Attalus, cognomento Philadelphus, rex etiam Pergamenorum, ad quem etiam Scipio Romanorum imperator venit, duos et octoginta annos natus è vitâ migravit[4]. Je ne doute point que Lucien ne fasse ici une faute. Le général romain dont il parle est sans doute Lucius Scipion l’Asiatique, qui défit Antiochus. Or en ce temps-là Attale ne régnait point.

(K) Il fut surnommé Philométor. ] « À cause de l’amitié qu’il avait pour sa mère, qui même fut cause de sa mort ; car comme il lui creusait un tombeau, il fut frappé du soleil, et mourut en sept jours[5], » Afin qu’on sache d’où M. Dacier a pris cette circonstance, je citerai ces paroles de Justin : matri deindè sepulcrum facere instituit, cui operi intentus morbum ex solis fervore contraxit, et septimâ die decessit[6]. Sa mère s’appelait Stratonice[7], et était fille d’Ariarathe, roi de Cappadoce : elle fut mariée avec Eumènes un peu après la victoire que les Romains remportèrent sur Antiochus à Magnésie [8]. Au reste, puisque Strabon [9], Appien[10] et plusieurs autres lui donnent le surnom de Philométor, je m’imagine que Plutarque par une erreur de mémoire lui donne celui de Philopator[11]. C’est dans la Vie des Gracques. Ailleurs il le nomme Philométor. Voyez le passage que je cite dans la remarque suivante. Volaterran avait rapporté assez bien ce qui concerne les rois de Pergame, mais il gâte tout quant au dernier. Il prétend que par contre-vérité on l’appela Philométor : Is Philometor ex scelere per antiphrasin cognominatus est, quod matrem interfecerit[12]. Qui pis est, il cite Justin comme ayant dit que ce prince ayant fait mourir sa mère, et puis sa femme secrètement, laissa croître ses cheveux et sa barbe pour cacher son crime. Justin dit toute autre chose.

(L) Il aima extrêmement l’agriculture. ] Ce ne fut pas sa première inclination, et il semble que ce fut un effet de mélancolie. Il avait fait mourir plusieurs personnes illustres[13], après quoi il s’enfonça dans un chagrin extraordinaire : il se couvrit, pour ainsi dire, de sac et de cendres ; et puis il abandonna le soin des affaires, et ne s’occupa que de la culture de son jardin. Mais il ne quitta point la cruauté ; car il se plaisait principalement à cultiver les herbes les plus venimeuses ; il en distillait les sucs, qu’il mêlait ensuite avec des remèdes salutaires, et il envoyait ces sortes de compositions à ses amis comme un présent. Voici mon auteur [14] : In Asiâ rex Attalus florentis-

  1. Classiarios convocat (Hannibal) hisque præcipit, omnes ut in unam Eumenis regis concurrant navem, à cæteris tantùm satis habeant se defendere. Id facilè illos serpentium multitudine consecuturos. Rex autem quâ nave veheretur, ut scirent se facturum, quem si aut cepissent, aut interfecissent, magno his pollicetur præmio fore. Cornelius Nepos, in Vitâ Hannibalis, cap. X.
  2. Idem, ibidem.
  3. Justinus et Cornelius Nepos, ubi suprà.
  4. Lucianus, in Macrobiis, pag. 637, tom. II, edit. Salmur.
  5. Dacier, Remarques sur l’ode I du Ier. liv. d’Horace, pag. m. 14.
  6. Justinus, lib. XXXVI, cap. IV, pag. m. 537.
  7. Sato, lib. XIII, pag. 429.
  8. Livius, lib. XXXVIII, pag. 733.
  9. Strabo, lib. XIII, pag. 429.
  10. Appianus, in Mithridat.
  11. Plutarchus, in Vitâ Gracchor., pag. 830.
  12. Volaterranus, lib. XIII, pag. m. 497.
  13. Voyez les Excerpta Diodoni Siculi, publiés par Henri Valois, pag. 370.
  14. Justinus, lib. XXXVI, cap. IV, pag. 537.