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PERGAME.

lum retulerunt : cæteros obscuris ob vetustatem initiis niti[1]. On ne saurait lire Tacite à cet endroit-là sans se souvenir de la recherche des faux nobles, qui est si nécessaire en France de temps en temps. Mais on aurait tort de croire que celle des faux asiles ne fut pas plus importante. Il s’était glissé un tel abus à cet égard dans des villes grecques, que les magistrats ne pouvaient plus exercer la rigueur des lois : tous les criminels, tous les débiteurs, trouvaient des lieux de refuge ; la populace les y protégeait, et s’en faisait un devoir comme d’un article de religion. Crebrescebat enim græcas per urbes licentia atque impunitas asyla statuendi : complebantur templa pessimis servitiorum : eodem subsidio obærati adversùm creditores, suspectique capitalium criminum receptabantur. Mec ullum satis validum imperium erat coërcendis seditionibus populi, flagitia hominum ut cærimonias deûm protegentis[2]. Pour remédier à ce désordre, on commanda que toutes les villes qui avaient des temples privilégiés envoyassent à Rome les preuves de leurs asiles[3]. Quelques-unes de ces villes, connaissant l’usurpation, y renoncèrent[4]. Plusieurs autres se confiant sur de vieilles traditions, ou sur des services rendus au peuple romain, envoyèrent des députés. Le sénat leur donna audience ; mais quand il fut las des contes que l’on produisait, et des factions qui se formaient, ils renvoya cette enquête aux consuls. Auditæ aliarum quoque civitatum legationes. Quorum copiâ fessi patres, et quia studiis certabatur consulibus permisere, ut perspecto jure, et si quâ iniquitas involveretur, rem integram rursùm ad senatum referrent[5]. Les consuls ne furent pas fort rigides ; ils admirent comme très-bons plusieurs titres de noblesse qui n’étaient fondés que sur des chimères ; car, par exemple, ils reçurent comme une preuve authentique ce que les Éphésiens leur dirent, qu’on voyait encore l’olivier sur quoi Latone s’appuya en accouchant d’Apollon. Esse apud se Cenchrium amnem, lucum Ortygiam, ubi Latonam partu gravidam et oleæ quæ tùm etiam maneat adnisam, edidisse ea numina, deorumque monitu sacratum nemus[6]. On ne serait pas aujourd’hui moins indulgent, si l’on s’avisait de faire produire à chaque paroisse les preuves de ses dévotions et de ses reliques. La connaissance que l’on a de l’aveuglement avec lequel le paganisme soutenait ses traditions, ne fait pas ouvrir les yeux sur la vanité des contes qui se débitent dans tous les lieux qui se vantent d’une dévotion privilégiée.

Polybe nous va fournir une réflexion aussi bonne que celle-là. Prusias ayant vaincu Attalus, entra dans Pergame[7], et fut offrir à Esculape un sacrifice pompeux, après quoi il s’en retourna à son camp. Le lendemain il fit piller tous les temples, et il chargea lui-même sur ses épaules la statue d’Esculape[8] à laquelle il avait immolé des victimes, et qu’il avait invoquée le jour précédent. C’est ce que Polybe appelle l’action d’un furieux et d’un enragé. Ἅμα μὲν θύειν καὶ διὰ τούτων ἐξιλάσκεσθαι τὸ θεῖον, προσκυνοῦντα καὶ λιπαροῦντα τὰς τραπέζας καὶ τοὺς βωμοὺς ἐξάλλως, ὅπερ ὁ Προυσίας εἴθιςο τοιεῖν, γονυπετῶν καὶ γυναικιζόμενος ἅμα δὲ ταῦτα καὶ λυμαίνεσθαι καὶ διὰ τῆς τούτων καταϕθορᾶς τὴς εἰς τὸ θεῖον ὕβριν διατίθεσθαι, πῶς οὐκ ἂν εἴποι τις εἶναι θυμου λυττῶντος ἔργα καὶ ψυχῆς ἐξεςηκυίας τῶν λογισμῶν. Etenim simul victimas cædere, deosque propitios orare, omnemque aram ac lapidem exquisito quodam genere

  1. Tacit., Annal., lib. III, cap. LXIII, ad ann. 775.
  2. Idem, ibidem, cap. LX.
  3. Igitur placitum ut mitterent civitates jura, atque legatos. Idem, ibid.
  4. Quædam quod falsâ usurpaverant spontè omisêre : multæ vetustis superstitionibus, aut meritis in populum romanum fidebant. Idem, ibidem.
  5. Idem, ibidem, cap. LXIII,
  6. Tacit., Annal., lib. III, cap. LXI.
  7. Προυσίας μετὰ τὸ νικῆσια τὸν Ἄτταλον, μετὰ τὸ παρελθεῖν πρὸς τὸ Πέργαμον. Prusias, victo Attalo, Pergamum ingressus. Polybius, in Excerptis à Valesio editis, pag. 169.
  8. Faite excellemment par Phylomachus πε ριττῶς ὑπὸ Φυλομάχου κατεσκευασμένον. Idem, ibidem. Diodore, in Excerptis à Valesio editis, pag. 336, l’appelle Phyromachus : c’est le nom d’un excellent statuaire qui florissait dans la 120e. olympiade, selon Pline, lib. XXXIV, cap. VIII.