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PAULICIENS.

Quid quœso ad ista aut Jupiter, aut Apollo respondebit, aut alius fatidicus Deus ? Audiamus quid eorum interpres dicat :

Ascribunt superis homines mala, cum tamen ipsi
Criminibus propriis sibi talia damna creârint.

Le ciel et la terre, continue-t-il, sont deux lieux très-différens. Il n’y a point de maux dans le ciel : et il y a sur la terre un mélange de maux et de biens, mais de telle sorte que les biens descendent du ciel, et que les maux naissent d’une dépravation qui est naturelle à la terre, et qui comprend deux espèces, dont l’une consiste dans les qualités de la matière, et l’autre dans la liberté de l’âme. ἧ τὰ μὲν ἀγαθὰ, ἐπίῤῥυτα ἐκ της ἑτέρας· τὰ δὲ κακὰ, ἐξ αὐτοϕυοῦς μοχθηρίας ἀνίσταται. διττὴ δὲ αὕτη, ἡ μὲν ὕλης πάθος, ἡ δὲ ψυχῆς ἐξουσία. Ita ut bona quidem, è cœlo veniant : mala verò ex innatâ illi (terræ) improbabitate oriantur. Improbitas verò ea duplex est : aut enim corrupta materiæ affectio est, aut animæ licentia[1].

Quant à la première de ces deux sortes de dépravation, il dit qu’il faut considérer la matière comme le sujet sur quoi un bon artisan travaille. Toutes les beautés qu’elle acquiert doivent être attribuées à l’art : mais s’il y a des ouvrages sur la terre qui ne soient pas comme il faut, on ne doit point imputer à l’art ces irrégularités ; car l’intention de l’artisan ne s’éloigne point de l’art non plus que celle du législateur ne s’écarte de la justice, et il faut même se souvenir que l’intelligence divine est bien plus heureuse à toucher au but que l’art humain. Après cela il emploie une comparaison, c’est que dans la mécanique il y a des choses qui sont l’objet principal de l’art tendant à son but, et des choses qui par elles-mêmes résultent de l’ouvrage, et qui ne sont point l’effet de l’art, mais une dépendance de la modification de la matière. Telles sont les étincelles qui volent deçà et delà lorsqu’on frappe sur l’enclume une pièce de fer chaud. Elles n’entrent point dans le but que les maréchaux se proposent, ce sont des suites accidentelles, qui résultent de leur action sans qu’ils y tendent, et qui ne sont annexées qu’à la qualité du fer, il faut dire aussi que les maux qu’on voit sur la terre ne sont point l’ouvrage de l’art divin, l’ouvrier tend premièrement et directement à la construction du monde ; mais il arrive que ces maux-là émanent nécessairement de son travail. L’auteur ajoute une remarque qui n’est pas trop bien liée avec celle-là. Il dit que l’ouvrier donne le nom de conservation du monde aux maux dont nous nous plaignons, et que nous nommons ruines et ravages. Il prétend que l’architecte du monde se propose la conservation du tout, et qu’il faut qu’en faveur du tout, les parties soient affligées : Ταῦτα ὁ τεχνίτης καλεῖ σωτηρίαν τοῦ ὅλου· μέλει γὰρ ἀυτῷ τοῦ ὅλου· τὸ δὲ μέρος ἀνάγκη κακοῦσθαι ὑπὲρ τοῦ ὅλου. Ea consummationem, totius vocat opifex. Qui totum respicit, cujus causâ necesse est corrumpi partes[2]. Les pestes, les tremblemens de terre, les inondations, les feux du mont Etna, ne font du mal qu’à quelques parties du tout, et servent à la production de quelques autres : car, comme l’a dit Héraclite, celles-ci vivent de la mort de celles-là, et celles-là meurent de la vie de celles-ci. La mort de la terre fait vivre le feu ; celle du feu fait vivre l’air : celle de l’air fait vivre l’eau ; celle de l’eau fait vivre la terre[3]. Pourquoi donc souteniez-vous, eût-on pu dire à Maxime de Tyr, que les maux physiques du genre humain ne sont pas de l’intention, ou de l’art de Dieu ? S’ils sont si nécessaires à la conservation du tout, et si l’ouvrier se propose la conservation du tout, ne faut-il pas qu’il les ait en vue ? Cette objection ne doit pas nous empêcher de dire que selon l’hypothèse de ce philosophe, les pestes, les famines et les autres infortunes du genre humain, sont involontaires à l’égard de Dieu, et qu’elles ne sont entrées dans l’ouvrage que comme des suites inévitables des dispositions de la matière[4].

  1. Idem, ibidem, pag. 256.
  2. Maxim. Tyrius, dissertatione XXV, pag. m. 257.
  3. Voyez, sur cette doctrine d’Héraclite, les Notes de Daniel Heinsius, in Maximum Tyrium, pag. 110, et ci-dessus, pag. 300, citation (60) de l’article Ovide, Ovide fait débiter le même dogme par Pythagoras.
  4. Voyez une semblable pensée dans la remarque (T) de l’article Chrysippe, tom. V, pag. 181.