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PAULICIENS.

minem et les rétorsions les tirent de tout. Vous avez ici en petit le caractère de ce docteur : il n’y a nulle justesse dans ses censures, nulle liaison dans ses dogmes : tout y est plein d’inconséquences ; l’inégalité, les contradictions, les variations règnent dans tous ses ouvrages. Ceux qui prendraient la peine de les éplucher, trouveraient à tout moment une matière de critique comme celle-ci.

Concluons qu’un manichéen, qui prendra droit sur le soin extrême que l’on a d’inventer des hypothèses qui disculpent Dieu, et en tout cas de ne convenir jamais qu’on le fasse auteur du péché, soutiendra toujours hardiment et fièrement que cet écueil est plus terrible que tout autre. Considérez bien ce que l’on a dit contre Chrysippe, qui soutenait[1], que ce n’est point inutilement qu’il y a des personnes inutiles, dommageables, malheureuses : s’il est ainsi, réplique Plutarque[2], quel est Jupiter ? j’entends celui de Chrysippus, s’il punit une chose qui n’est ni de soi-même ni inutilement ; car le vice, selon l’opinion de Chrysippus, serait totalement irrépréhensible ; et, à l’opposite, Jupiter lui-même serait à reprendre, s’il fait le vice étant inutile, et s’il le punit l’ayant fait non inutilement.

  1. Plut., de Stoïcor. Repugn., pag. 1051.
  2. Ποῖός τις ὁ Ζεὺς, λέγω δὲ τὸ Χρυσίππου, κολάζων πρᾶγμα, μήτε ἀϕ᾽ αὑτοῦ, μήτε ἀχρὴστως γινόμενον ; ἡ μὲν γὰρ κακία πάντως ἀνέγκλητός ἐστι κατὰ τὸν τοῦ Χρυσίππου λόγον · ὅ δὲ Ζεὺς ἐγκλητέος εἴτε ἄχρνστον οὖσαν τὴν κακίαν πεποίηκεν, εἴτε ποιήσας οὐκ ἀχρήστως, κολάζει. Qualis est Jupiter (de Chrysippeo loquor) rem puniens neque ultrò neque inutiliter factam ? nam Chrysippi ratiò efficit vitia omnino culpanda non esse, sed Jovem ; sive is fecit vitia, quæ nihil prodessent : sive punit, cum fecisset non inutilia. Idem, ibidem.

(K) Les…… pères n’ont pas ignoré que la question de l’origine du mal ne fût très embarrassante.] Un passage d’Origène me tiendra lieu de toutes les citations que je pourrais avancer. Εἴπερ ἄλλός τις τόπος τῶν ἐν ἀνθρώποις ἐξετάσεως δεόμενος, δυσθήρατός ἐστι τῇ ϕύσει ἡμῶν, ἐν τούτοις καὶ ἡ τῶν κακῶν ταχθείη ἂν γένεσις. Si quis alius est locus in rebus humanis, scrutatu difficilis naturæ nostræ ; inter hos meritò numerari potest malorum origo[1].

  1. Origenes contrà Celsum, lib. IV p. 207.

(L) L’hypothèse des platoniciens, qui au fond était une branche de manichéisme.] Je ne veux considérer ici cette hypothèse que selon qu’elle a été expliquée par Maxime de Tyr, dans son traité sur la question d’où viennent les maux, puisque Dieu est l’auteur des biens[1] ? Cet auteur suppose que pour connaître la cause des biens qui sont dans le monde, il n’est pas nécessaire d’aller à l’oracle, et qu’il est assez visible qu’ils viennent de Dieu, et que les maux ne peuvent descendre du ciel, où il n’y a point de natures envieuses[2] ; mais que pour connaître d’où viennent les maux, on a besoin d’aller aux devins, c’est-à-dire de consulter Jupiter, Apollon ou telle autre divinité qui prophétise, et qui prend soin des choses humaines. Il fait ensuite un dénombrement des misères à quoi notre corps est assujetti, et en conclut[3] que l’homme est la plus infortunée de toutes les créatures.

Οὐδὲν ἀκιδνότερον γαῖα τρέϕει ἀνθρῶποιο,
Nil nutrit tellus homine infelicius, uno.

Puis il considère les maux sans nombre qui persécutent notre âme, et il prétend que la réponse des dieux fatidiques qu’on a consultés, est que les hommes ont grand tort d’imputer à Dieu la cause de leurs infortunes, puisqu’ils en sont eux-mêmes les artisans par leur propre faute. Il se sert de deux vers d’Homère pour représenter cela[4] :

Τί ἄν οὖν πρὸς ταῦτα ἀποκρίναιτο ὁ Ζεὺς, ἢ ὁ Απόλλων, ἤ τις ἄλλος μαντικὸς θεὸς ; ἀκούσωμεν τοῦ ὑποϕήτου λέγοντος.

Εξ ἡμέων γὰρ ϕασι κάκ’ ἔμμεναι οἱ δὲ ϰαὶ αὐτοὶ
Σϕῆσιν ἀτασθαλίῃσιν ὑπὲρ μόρον ἄλγε ἔχουσι.

  1. Τοῦ θεοῦ τὰ ἀγαθὰ ποιοῦντος, πόθεν τὰ κακά. Cùm deus bona faciat, undè sint mala ? C’est la matière de la XXVe. dissertation de Maxime de Tyr.
  2. Οὐ γὰρ ἐξ οὐρανοῦ μὰ Δία, οὐκ ἐξ οὐρανοῦ ϕθόνος γὰρ ἔξωθεν τοῦ (Voyez ci-dessous, citation (118) χοροῦ ἵσταται. Non enim è cœlo me Hercules, non è cœlo. Exulat enim illìc invidia. Maxim. Tyrius, dissertatione XXV, pag. m. 253.
  3. Idem, ibidem, pag. 255.
  4. Idem, ibidem.