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PAULICIENS.

damnation que parce qu’il l’a ordonnée avant que de prévoir leurs crimes[1] ; supposant, dis-je, que Maimbourg accuse très-justement Calvin de dire que ceux qui souffrent les supplices éternels sont des créatures innocentes[2] ; et par conséquent que Dieu est l’auteur de leur péché. Jurieu ne peut souffrir que Maimbourg conclue, donc la doctrine de Calvin détruit l’idée que l’on doit avoir de Dieu, et ensuite conduit tout droit à l’athéisme. Il ne se contente pas de prétendre qu’il ne fut jamais rien dit de plus inconsidéré que l’est cette conclusion[3] ; il la traite de pensée folle[4] et d’ignorance[5], et dit qu’elle témoigne que Maimbourg est un pauvre philosophe et un misérable théologien[6] ; et qu’il n’est rien de plus absurde et de moins théologien qu’une telle conséquence[7]. C’est un grand défaut dans la controverse que celui que l’on reproche à Ovide : nescire quod benè cessit, relinquere : nescire desinere[8]. Ce ministre avait fort bien justifié les superlapsaires, en montrant ce qu’on leur impute à tort, et en déclarant qu’ils désavouent la conséquence qu’on leur reproche de faire Dieu auteur du péché[9]. Il fallait se retirer du champ de bataille après ce coup, et n’être pas assez téméraire pour soutenir que quand même ils feraient Dieu cruel, injuste, punissant et châtiant par des supplices éternels des créatures innocentes, c’est-à-dire que quand même ils feraient Dieu auteur du péché, et néanmoins le juge sévère qui punirait ce péché éternellement dans la personne qui n’en seraient pas coupable, ils ne conduiraient pas les hommes à l’athéisme ; mais qu’au contraire ils élèveraient la divinité au plus haut degré de gloire où elle puisse être conçue. D’où vient donc, lui devons-nous demander, que toutes les sectes chrétiennes évitent comme l’écueil le plus dangereux de toute la théologie, l’aveu que Dieu soit l’auteur du péché ? D’où vient que l’idée seule d’un tel dogme fait horreur ? Il faut avouer qu’il y a des gens heureux : si un autre ministre avait dit de telles choses, ses lecteurs en auraient été scandalisés ; on lui aurait fait désavouer cela comme une impiété, et peut-être que je suis le seul qui aie pris garde à cette étrange doctrine.

Mais enfin, dit-il[10], plus on mêle Dieu dans tout, plus on suppose qu’il existe, et qu’il est puissant. C’est donc raisonner en insensé que de dire, Dieu est l’auteur du péché donc il n’y a point de Dieu : il est donc faux que cela puisse conduire à l’athéisme. La pauvre défaite ! À ce compte les anciens poëtes qui attribuaient à Jupiter et aux autres dieux toutes sortes de péchés[11], et nommément celui de pousser les hommes au mal[12], sans néanmoins dire que le même dieu qui les y poussait les en châtiait, n’auraient pas avancé des choses capables de ruiner l’idée de Dieu, et d’éteindre la religion, et de faire des athées. Notez qu’il n’y a point de différence entre commettre soi-même un crime, lorsque l’on en a les instrumens, et le commettre par les instrumens d’un autre. Il est clair à tout homme qui raisonne, que Dieu est un être souverainement parfait, et que de toutes les perfections il n’y en a point qui lui conviennent plus essentiellement que la bonté, la sainteté et la justice. Dès que vous lui ôtez ces perfections pour lui donner celles d’un législateur qui défend le crime à l’homme, et qui néanmoins pousse l’homme dans le crime et puis l’en

  1. Jurieu, Apologie pour la Réformation, Ire. part., chap. XIX, pag. 241.
  2. Là-même, pag. 246.
  3. Jurieu, Apologie pour la Réformation, Ire. part., chap. XIX, pag. 246.
  4. Là même.
  5. Là même, pag. 247.
  6. Là même.
  7. Là même, pag. 245.
  8. Scaurus, apud Senecam, controvers., XXVIII, pag. m. 272.
  9. Jurieu, Apologie pour la Réformation, pag. 244, 245.
  10. Voyez-le dans l’Apologie pour la Réformation, Ire part., chap. XIX, pag. 246, 247.
  11. Nec multò absurdoria sunt ea quæ poëtarum vocibus fusa ; ipsâ suavitate nocuerunt qui et irâ inflammatos, et libidine furentes induxerunt deos, feceruntque ut eorum bella, pugnas, prœlia, vulnera videremus : odia præterra, dissidia, discordias, ortus, interitus, querelas, lamentationes, effusas in omni intemperantiâ libidines, adulteria, vincula, cum humano genere concubitus, mortalesque ex immortali procreatos. Cicero, lib. I, de Naturâ Deorum, cap. XVI.
  12. Voyez la remarque (C) de l’article Égialée, tom. VI, pag. 101, et les remarques (X) et (Y) de l’article Hélène, tom. VII, p. 546.