Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T11.djvu/515

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
499
PAULICIENS.

science ce qui nous donne l’idée d’un Dieu sévère, tyran, usant de ses droits avec une rigueur excessive, conduit-il les hommes à l’athéisme ?… C’est une pensée folle de dire qu’une hypothèse conduit à l’athéisme, laquelle fait entrer Dieu en toutes choses[1], le fait être la cause de tout, le pose comme l’unique but de toutes ses propres actions, et l’élève au-dessus de la créature, jusqu’à en pouvoir disposer selon des règles qui paraissent même injustes au sens de la chair. Tant s’en faut que cette opinion des superlapsaires conduise à l’athéisme, qu’au contraire elle pose la divinité dans le plus haut degré de grandeur et d’élévation où elle peut être conçue. Car elle anéantit tellement la créature devant le créateur, que le créateur dans ce système n’est lié d’aucune espèce de lois à l’égard de la créature, mais il en peut disposer comme bon semble, et la peut faire servir à sa gloire par telle voie qu’il lui plaît, sans qu’elle soit en droit de le contredire.

Voici bien la plus monstrueuse doctrine et le plus absurde paradoxe, qu’on ait jamais avancé en théologie, et je serais fort trompé si jamais aucun célèbre théologien avait dit une telle chose. On s’est tourné de tous les côtés imaginables, pour expliquer de quelle manière Dieu influe dans les actions des pécheurs : on a gardé l’hypothèse de la prédestination absolue, lorsqu’on a cru qu’elle ne faisait nul tort à la sainteté de Dieu : mais dès l’on s’est imaginé qu’elle lui donnait atteinte, on l’a quittée. Ceux qui n’ont point vu que le libre arbitre soit incompatible avec la prédétermination physique, ont enseigné constamment cette prédétermination ; mais ceux qui ont cru qu’elle le ruinait l’ont rejetée, et n’ont admis qu’un concours simultanée et indifférent. Ceux qui ont cru que tout concours est contraire à la liberté de la créature, ont supposé qu’elle était seule la cause de son action[2]. Rien ne les a déterminés à le supposer, que la pensée que tous les décrets par lesquels la Providence s’engagerait avec notre volonté, rendraient nécessaires les événemens, et feraient que nos actions criminelles ne seraient pas moins un effet de Dieu, qu’un effet de la créature[3]. Ils n’ont point trouvé leur compte à dire que le péché n’est pas un être ; que ce n’est qu’une privation et un néant qui n’a point de cause efficiente, mais une cause déficiente[4]. Enfin, on en est venu jusqu’à soutenir que Dieu ne saurait prévoir les actions libres de la créature. Pourquoi tant de suppositions ? Quelle a été la mesure, quelle a été la règle de tant de démarches ? C’est l’envie de disculper Dieu ; c’est qu’on a compris clairement qu’il y va de toute la religion, et que dès qu’on oserait enseigner qu’il est l’auteur du péché, on conduirait nécessairement les hommes à l’athéisme. Aussi voit-on que toutes les sectes chrétiennes qui sont accusées de cette doctrine par leurs adversaires, s’en défendent comme d’un blasphème horrible, et comme d’une impiété exécrable et qu’elles se plaignent d’être calomniées diaboliquement. Et voici un ministre qui nous vient dire fort gravement que c’est un dogme, qui pose la divinité dans le plus haut degré de grandeur et d’élévation où elle puisse être conçue. C’est l’éloge qu’il ne craint pas de donner à une doctrine qui nous représente un Dieu cruel, injuste, punissant et châtiant par des supplices éternels des créatures innocentes. Il interpelle notre conscience, pour savoir si l’idée d’un Dieu tyran nous conduit à l’athéisme. Prenant les choses au pis, c’est-à-dire supposant que Maimbourg ait eu raison d’avancer que, selon Calvin, Dieu a créé la plupart des hommes pour les damner, non pas parce qu’ils l’aient mérité par leurs crimes, mais parce qu’il lui plaît ainsi, et qu’il n’a prévu leur

  1. Et cependant le spinosisme qui enseigne que toutes choses sont Dieu lui-même, est un athéisme exécrable.
  2. Durand de Saint-Portien et plusieurs autres célèbres théologiens le supposent. Voyez un Traité de M. de Launoi, inséré en abrégé dans les Essais de Théologie de M. Papin, imprimés l’an. 1687.
  3. Voyez le livre du capucin Louis de Dole, intitulé : Disputatio quadripartita de modo conjunctionis concursuum Dei et creaturæ ad actus liberos ordinis naturalis, præsertim verò ad pravos adversùs prædeterminantium et assertorum scientiæ mediæ modernorum opiniones. Ce livre fut imprimé à Lyon, l’an 1634, in-4o.
  4. Voyez contre tout ceci les Essais de Théologie de M. Papin, au Traité contre la Prédétermination physique.