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PAULICIENS.

charge, que si l’on disait avec les sociniens qu’il n’a point su si la créature libre pécherait ; et que s’il en a voulu courir les risques, il a eu beaucoup d’espérance que les lumières qu’elle possédait, et ses menaces, la détourneraient de mal faire. Je ne pense pas qu’un manichéen trouvât là beaucoup de difficulté : car, en 1er. lieu, il pourrait dire que Dieu n’a passé cette transaction, que parce que sans cela il n’eût jamais pu faire du bien à la créature. Il y a donc une grande différence entre le manichéisme et le socinianisme. Les sociniens avouent que Dieu, pouvant empêcher très-facilement que l’homme ne fût ni criminel, ni malheureux, l’a laissé tomber dans le crime et dans la misère ; mais le manichéisme suppose que Dieu n’a consenti à cette chute, que par une pure nécessité, et pour éviter un plus grand mal. En second lieu, on pourrait nier que Dieu ait jamais transigé avec le mauvais principe, et soutenir qu’il s’oppose de toutes ses forces, sans fin et sans cesse au péché, et à la misère de la créature, afin de la rendre parfaitement sainte et parfaitement contente : mais que le mauvais principe agissant de son côté avec toute sa puissance, pour un dessein tout contraire, il résulte de ce choc continuel le mélange de bien et de mal, que l’on voit au monde ; comme l’action et la réaction du froid et du chaud produisent une qualité moyenne. Appliquez ici ce que disent les scolastiques, sur la nature des mixtes résultante du combat des élémens. Je sais bien que l’une et l’autre de ces deux explications creusent un abîme affreux de difficultés absurdes ; mais il n’est plus question ici que de savoir si cette hypothèse disculpe, Dieu : or ces misérables hérétiques prétendent que toute difficulté est petite, en comparaison de celle qui naît de le faire auteur du péché ; et il est sûr que tous les chrétiens abhorrent de l’en reconnaître la cause.

Les jésuites soutiennent[1] qu’il serait mieux d’être athée, et ne point reconnaître de divinité, que de rendre les honneurs suprêmes à une nature qui défend à l’homme de faire le mal, et qui néanmoins le lui fait commettre, et puis l’en punit. Ils soutiennent que le Dieu d’Épicure est plus innocent et, s’il faut parler de la sorte, plus Dieu que ne serait celui-là. Et lorsque les marcionites et les manichéens se sont avisés de faire un second Dieu auteur de tous les maux, ils en ont adoré un autre qui donnait tous les biens, là où le vôtre, disent les jésuites à ceux de la religion, est pire que les hommes. Ceux à qui l’on fait ces reproches ne rejettent point ces conséquences, ils ne rejettent que le principe ; ils soutiennent seulement qu’on ne peut sans une infâme calomnie les accuser de faire Dieu auteur du péché[2]. Les mêmes jésuites prétendent que la doctrine de Calvin sur la prédestination traîne après soi des conséquences qui détruisent absolument toute l’idée qu’on doit avoir de Dieu, et ensuite conduisent tout droit à l’athéisme[3]. Le ministre qui a répondu à M. Maimbourg, le convainc d’avoir rapporté infidèlement la doctrine de Calvin. Il en fallait demeurer là ; car quand on ajoute que M. Maimbourg a tiré une fausse conséquence de la doctrine qu’il a imputée à Calvin, on raisonne pitoyablement : mon lecteur en va juger[4]. Outre cela, je dis qu’il conclut mal, et qu’il n’est rien de plus absurde et de moins théologien, que la conséquence que le sieur Maimbourg veut tirer de la doctrine de ces théologiens. C’est qu’elle détruit absolument toute l’idée qu’on doit avoir de Dieu, et ensuite conduit tout droit à l’athéisme. Il ne fut jamais rien dit de plus inconsidéré. Prenons les choses au pis. Si cette doctrine détruit toute l’idée qu’on doit avoir de Dieu, c’est parce qu’elle nous représente un Dieu cruel, injuste, punissant et châtiant par des supplices éternels des créatures innocentes. Et c’est précisément ce que veut dire le sieur Maimbourg, que cela détruit l’idée de Dieu, parce que l’idée de Dieu renferme les attributs de la douceur, de la justice et de l’équité. Mais en con-

  1. Le père Adam, cité par Daillé, Réplique à Adam et à Cottibi, part. II, chap. I, pag. 2 et 3.
  2. Voyez M. Daillé, dans tout ce chapitre.
  3. Maimbourg, Histoire du Calvinisme, liv. I, pag. m. 73 : Voyez aussi pag. 56.
  4. Jurieu, Apologie pour les Réformateurs, Ire. part., chap. XIX, pag. 245, 246, édition in-4o.