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PAULICIENS.

Dieu d’ailleurs fait paraître pour le péché. On n’empêchera jamais que les libertins n’accusent le christianisme de faire Dieu auteur du péché ; car le sens commun de tous hommes va là ; c’est à croire que celui qui pouvait empêcher la chute du premier homme tout aussi facilement comme il l’a permise, et qui a ouvert toutes les voies dans lesquelles les hommes se sont égarés, les pouvant fermer si facilement, peut être considéré comme auteur d’un mal qu’il devait empêcher selon ses principes et la haine qu’il a pour le mal, et qu’il eût pu arrêter sans aucune peine. » Il suppose ensuite qu’on lui objecte la science moyenne, et il répond : « Cela ne diminue rien de la difficulté. Car je pourrai toujours dire, puisque ainsi est que Dieu avait prévu qu’Adam posé dans ces circonstances se perdrait lui et une infinité de millions d’hommes par son libre arbitre, et que cependant il l’a posé dans ces tristes circonstances, il est clair qu’il est le premier auteur de tous les maux. Un souverain qui saurait avec une parfaite certitude, qu’en mettant un homme l’épée à la main dans une foule il y excitera une sédition, et causera un combat dans lequel dix mille hommes seront tués, pourrait dans toute la rigueur de la justice être considéré comme le premier auteur de tous ces homicides. Il ne satisferait jamais personne en disant, je n’ai point donné ordre à cet homme de frapper de l’épée ; je ne lui ai point commandé d’exciter de sédition ; au contraire, je le lui ai défendu ; je n’ai point poussé son bras pour tuer, ni formé sa voix pour solliciter au combat. On lui dira toujours vous saviez bien, et avec certitude, que cet homme, posé dans ces circonstances, causerait tous ces malheurs. Il ne tenait qu’à vous de le poser dans des circonstances plus favorables, d’où il serait venu toutes sortes de biens. Je suis assuré qu’il n’aurait rien à répondre qui fût capable d’arrêter les murmures. Et si l’on veut parler sincèrement, on avouera que l’on ne saurait rien répondre pour Dieu, qui puisse imposer silence à l’esprit humain…..[1] Enfin, il n’y a pas jusqu’au Dieu de Socin qu’on ne puisse accuser d’être auteur du péché….[2] Pour conclure, je soutiens qu’il n’y a aucun milieu commode depuis le Dieu de saint Augustin, jusqu’au Dieu d’Épicure, qui ne se mêlait de rien, ou jusqu’au Dieu d’Aristote, dont les soins ne descendaient pas plus bas que la sphère de la lune. Car tout aussitôt qu’on reconnaît une providence générale et qui s’étend à tout, de quelque manière qu’on la conçoive, la difficulté renaît, et quand on croit avoir fermé une porte, elle rentre par une autre. » C’est parler net que cela. Mais si le Dieu des manichéens, je veux dire le bon principe qu’ils appelaient Dieu par excellence, se fût présenté à l’esprit de ce ministre, ne l’eût-il pas obligé à s’exprimer un peu autrement et à confesser que leur hypothèse disculpe Dieu ; car elle attribue tout le mal au mauvais principe. Il ne sera pas inutile de savoir ce qu’il répond à ses censeurs. « On trouve aussi parmi ce fatras, ajoute M. Jurieu[3], une observation sur ce que j’ai dit quelque part, que quelque méthode que l’on suive on ne lèvera jamais parfaitement les scrupules, que les objections des profanes jettent dans l’esprit, au sujet de la providence de Dieu sur le péché. Si ces messieurs savent un moyen d’éclaircir parfaitement ces difficultés, ils nous obligeront de nous le donner. »

Vous avez tort, me dira-t-on, de reconnaître que l’hypothèse des manichéens disculpe Dieu ; car s’ils prétendent qu’il a transigé avec le mauvais principe, comme vous le disiez tantôt[4], il a consenti à l’introduction du mal, il s’est engagé par contrat à le souffrir, et il a voulu positivement que tous les crimes et tous les malheurs du genre humain fussent produits. Cela est plus à sa

  1. Jurieu, Jugement sur les Méthodes rigides et relâchées, pag. 72.
  2. Là même, pag. 73.
  3. Jurieu, IIe. apologie, pag. 30, col. 2, cité par Saurin, Examen de la Théologie de M. Jurieu, pag. 340.
  4. Ci-dessus, citation (19). Voyez aussi l’article Manichéens, tom. X, pag. 199, remarque (D), au cinquième alinéa.