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PAULICIENS.

pouvait aussi aisément expliquer l’histoire humaine, que par celle de Zoroastre. Arnobe a réfuté avec beaucoup de rigueur ces deux espèces de dieux, les uns bienfaisans et les autres malfaisans :[* 1] mais il est allé trop loin ; car il s’est servi d’un principe très-favorable au manichéisme. Il dit, sans aucune restriction, que la nature de Dieu ne lui permet point d’inquiéter personne : d’où viennent donc, lui eût-on pu demander, les pestes et les famines ? Les chrétiens ne les appellent-ils pas les fléaux de Dieu ? Quoi qu’il en soit, rapportons ce qu’il a dit[1] : Quod dici a vobis accepimus, esse quosdam ex diis bonos, alios autem malos, et ad nocendi libidinem promptiores : illisque ut prosint, his verò ne noceant, sacrorum solemnia ministrari : quânam istud ratione dicitur, intelligere confitemur non posse. Nam deos benignissimos dicere, lenesque habere naturas, et sanctum, et religiosum et verum est : malos autem, et lævos, nequaquàm sumendum est auribus ; ideò quoniàm divina illa vis ab nocendi procul est dimota et disjuncta natura. Quidquid autem potis est causam calamitatis inferre, quid sit primùm videndum est, et ab dei nomine longissimâ debet differitate seponi. Itaque ut vobis commodemus assensum, dextrarum, sinistrarumque rerum deos esse fautores, ulla nec sic ratio est, cur alios alliciatis ad prospera, alios verò, ne noceant sacrificiis commulceatis et præmiis. Primùm quòd dii boni malè non queunt facere, etiam si nullo fuerint honore mactati. Quidquid enim mite est y, placidumque naturâ, ab nocendi procul est usu, et cogitatione discretum : malus verò comprimere suam ferociam nescit, quamvis gregibus mille, et mille alliciatur altaribus. Neque enim in dulcedinem vertere amaritudo se potest : aut ariditas in humorem, calor ignis in frigora : aut quod rei cuicunque contrarium est, id quod sibi contrarium est, sumere in suam atque immutare naturam ; ut si manu viperam mulceas, venenato blandiaris aut scorpio, petat illa te morsu, hic contractus aculeum figat : nihilque illa prosit allusio, cùm ad nocendum res ambæ non stimulis exagitentur irarum, sed quâdam proprietate naturæ. Ita nihil prodest promereri velle per hostias deos lævos, cùm sive illud feceris, sive contrà non feceris, agant suam naturam, et ad ea quæ facti sunt ingenitis legibus, et quâdam necessitate ducantur. Quid quòd isto modo utrique dii desinunt esse suis in viribus, et suis in qualitatibus permanere. Nam si bonis ut prosint, res divina conficitur, aliis autem ne noceant, iisdem rationibus supplicatur ; sequitur ut intelligi debeat, nihil dexteros profuturos, nulla si acceperint munera, fierique ex hoc malos : malos autem si acceperint, nocendi posituros mentem, fierique ex hoc bonos. Atque ita producitur res eò, ut neque hi dexteri, neque illi sint lævi : aut, quod fieri non potest, utrique ipsi sint dexteri, et utrique iterùm lævi. Quoique ce passage d’Arnobe favorise les manichéens, il contient une remarque qui les embarrasse, et qui renverse tout leur culte ; car la raison pour laquelle ils admettaient un mauvais principe, était qu’ils ne croyaient pas que le bon principe pût faire de mal : ils croyaient donc que l’autre ne pouvait faire de bien ; ainsi tout leur service divin était inutile, le dieu bienfaisant n’eût jamais puni leur irréligion, et ils ne pouvaient jamais se rendre propice le Dieu malfaisant. Arnobe pousse très-bien cette objection contre les païens : mais ils auraient pu lui répondre que les tyrans les plus féroces font une très-grande distinction entre ceux qui les honorent et ceux qui les méprisent : et que les rois les plus débonnaires font la même, distinction entre ceux qui les respectent et ceux qui les offensent ; et qu’à proportion c’est ainsi qu’il faut juger des divinités bienfaisantes et des divinités malfaisantes. Je ne pense pas que le système de Zoroastre, ni celui des manichéens, souffre qu’à raisonner conséquemment, on se serve de cette réplique.

  1. * Voyez, dans les Mémoires de Trévoux, avril 1736, page 946, l’Apologie d’Arnobe, par le père Merlin.
  1. Arnobius, lib. VII, pag. m. 228, 229. Voyez le passage d’Aulu-Gelle, dans l’article Manichéens, tom. X, pag. 193, citation (34).

(H) Les orthodoxes semblent admettre deux premiers principes. ] C’est une opinion répandue de tout temps dans le christianisme, que le diable