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PAULICIENS.

pauliciens, les plus artificieux des manichéens, entreprenaient de les séduire ; et c’est ce qui obligea Pierre de Sicile d’adresser à leur archevêque le livre dont nous venons de parler[1], afin de les prémunir contre des hérétiques si dangereux. Malgré ses soins, il est constant que l’hérésie manichéenne jeta de profondes racines dans la Bulgarie.

  1. C’est un livre qui a pour titre : Historia de Manichæis. Radérus l’a traduit de grec en latin. Il le publia à Ingolstad, avec des notes, l’an 1604, in-4o.

(C) Ils condamnaient le culte des saints et les images de la croix. ] « Pierre de Sicile nous rapporte qu’une femme manichéenne séduisit un laïque ignorant nommé Serge, en lui disant que les catholiques honoraient les saints comme des divinités, et que c’était pour cette raison qu’on empêchait les laïques de lire la Sainte Écriture, de peur qu’ils ne découvrissent plusieurs semblables erreurs[1]. » Voyez ce qu’on a cité du père Maimbourg dans le Supplément de Moréri.

  1. Histoire des Variations, liv. XI, num. 15.

(D) Il est étrange que la secte manichéenne ait pu séduire tant de monde. ] Nous avons vu ailleurs[1] avec quel empressement le pape Léon avertit tous les évêques de ne souffrir pas que ces hérétiques, condamnés au bannissement par les lois impériales, trouvassent aucun refuge. Cette hérésie ne laissa pas de se maintenir, et il fallut la persécuter par des lois beaucoup plus sévères : il fallut condamner au dernier supplice tous ceux qui en feraient profession : et néanmoins elle se conserva et se répandit. L’empereur Anastase, et l’impératrice Théodore, femme de Justinien, la favorisèrent : On en voit les sectateurs sous les enfans d’Héraclius, c’est-à dire au septième siècle en Arménie[2]. Nous avons déjà parlé des grands progrès qu’elle y fit ; nous avons vu que le massacre de cent mille pauliciens ne l’empêcha pas de se répandre de la Thrace dans la Bulgarie. Elle infecta ensuite beaucoup de personnes dans plusieurs provinces de France. Consultez M. de Meaux[3]. Lambert Daneau observe qu’elle faisait du ravage dans la Perse, dans la Syrie, et dans la Mésopotamie sous l’empereur Anastase, et dans la Sicile sous le pape Grégoire-le-Grand. Romam ipsam occupavit hæc hæresis, undè tamen expulsa est à Leone pontifice romano circà annum à Christo passo 414. In Arabiâ tamen, Perside, et Ægypto maximè viguit potuitque, undè posteà mahumetismus tanquàm ex serpentis viperæque ovo enatus et exclusus. Diutissimè etiam substitit. Nam et Anastasii imperatoris temporibus adhuc in Perside, Mesopotamiâ, et Syriâ grassabatur apertè : et Gregorii Magni pontificatu in Siciliâ, id est, annos post Manetem mortuum plus quàm 340 ut apparet ex Gregorii epist. 6. lib. 4. et P. Diaconi lib. 15. Historiâ, ubi indaganam eorum episcopum commemorat[4]. Je n’oserais affirmer qu’elle se soit répandue dans les provinces de l’Orient, où l’on découvre le dogme des deux principes parmi quelques peuples infidèles ; car ils pourraient l’avoir reçu par d’autres canaux que par les manichéens. J’approuve la pensée de Louis Thomassin. Les relations qu’on nous donne souvent de l’Asie nous y découvrent, dit-il[5], encore présentement quelques manichéens au-delà des bornes de l’ancien empire romain. Je ne puis pas dire trop affirmativement que ce soient aussi les restes, ou les descendans de ceux qui ayant été si souvent proscrits de tout l’empire romain, se retirèrent dans les provinces voisines. Il y a en cela de la probabilité, mais non la même certitude que quand nous disions la même chose des ariens, des nestoriens, et des eutychiens. Ceux-ci sont vraiment hérétiques, qui n’ont pu prendre naissance que de l’église catholique en leur temps, dont ils déchirèrent les entrailles pour en sortir. Mais les manichéens étaient venus originairement de l’Orient, comme descendans des anciens idolâtres qui admettaient aussi les deux premiers principes, l’un du bien,

  1. Dans l’article Manichéens, tom. X, pag. 200, remarque (E).
  2. Histoire des Variations, liv. XI, num. 13,
  3. Histoire des Variations, liv. XI.
  4. Lambert. Dan. Notis in Augestin., de Hæresibus, cap. XLVI, folio m. 119 verso.
  5. Thomassin, de l’Unité de l’Église, tom. I, part. II, chap. IX, pag. 378.