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PATIN.

On n’en tient compte, un matin le ruine :
De rose alors ne reste que l’épine.

Lorsqu’un amant, l’exemple est tout pareil,
Fait voir désirs à quoi pudeur s’oppose,
Si l’on ne fuit, l’amour est un soleil,
Point n’en doutes, par qui fleur est éclose.
Alors en bref on veut s’évanouir
Transports et soins par qui fille peu fine
Présume d’elle, et se laisse éblouir.
Mépris succède à l’amour qui décline :
De rose alors ne reste que l’épine.

Plus de commerce avecque le sommeil,
Ou si parfois un moment on repose,
Songe cruel donne fâcheux réveil ;
Cent et cent fois on en maudit la cause.
Voir on voudrait dans la terre enfouir
Tendre secret duquel on s’imagine
Qu’un traître ira le monde réjouir.
Parle-t-on bas, on croit qu’on le devine :
De rose alors ne reste que l’épine.

ENVOI.

Galans fieffés, donneurs de gabatine,
J’ai beau prêcher qu’on risque à vous ouïr,
A coqueter toute fille est encline.
Plutôt que faire approuver ma doctrine,
On filerait chanvre sans le rouir.
Mais quand tout bas faut appeler Lucine,
De rose alors ne reste que l’épine[1].

(G) Le symbole de l’auteur n’était pas chargé de beaucoup d’articles. ] Rapportons ces paroles de son éloge[2] : « Il disait les choses avec un froid de stoïcien, mais il emportait la pièce ; et sur ce chapitre, il eût donné des leçons à Rabelais. On disait qu’il avait commenté cet auteur, et qu’il en savait tout le fin. C’est ce qui le fit accuser d’être un peu libertin. La vérité est qu’il ne pouvait souffrir la bigoterie, la superstition et la forfanterie, mais il avait l’âme droite, et le cœur bien placé : il était passionné pour ses amis, affable et officieux envers tout le monde, et particulièrement envers les étrangers et les savans. » Prenez bien garde que pour répondre à l’accusation de libertinage, l’auteur de l’Éloge ne dit pas que M. Patin fût dans le fond bien persuadé de l’orthodoxie chrétienne ; on se contente de nous assurer qu’il haïssait la superstition, et qu’il était honnête homme[* 1]. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres[3]. Ce n’est pas ainsi qu’on répond pour le prince de Condé ; on oppose à la renommée la déclaration qu’il fit en mourant, je n’ai jamais douté des mystères de la religion, quoi qu’on ait dit ; mais j’en doute moins que jamais[4]. On dira peut être que les libraires de Genève ont fourré dans cet ouvrage de M. Patin tout ce que bon leur a semblé ; mais cette pensée serait ridicule.

(H) L’énorme imposture d’un écrivain allemand a publiée. ] Il s’appelle Axtius. Il a débité dans une lettre sur l’antimoine, jointe à un traité de Arboribus coniferis, à Iène en 1679, que M. Patin voulut empoisonner son propre fils avec l’antimoine qu’il croyait être un poison, mais qui con-

  1. * Joly, après avoir blâmé la publication des Lettres de Patin, entre autres causes pour leur impiété, ne peut résister au plaisir de contredire Bayle, au risque de se contredire lui-même. En conséquence, après l’Esprit de Guy Patin, il cite seize passages de ces lettres.

    Ce fut en 1709 que parut l’Esprit de Guy Patin, tiré de ses conversations, de son cabinet, de ses lettres et de ses ouvrages, avec son portrait historique, Amsterdam (Rouen), in-12, réimprimé à Amsterdam, 1713, in-12. Cet ouvrage est, suivant quelques personnes, d’Antoine Lancelet. La dernière édition est assez belle, mais incorrecte.

    On avait publié à Paris, en 1701, Naudæana et Patiniana, ou Singularités remarquables prises des conversations de MM. Naudé et Patin. La Monnoie, dans sa lettre au Président Bouhier, sur le prétendu livre des trois imposteurs, appelle le Naudæana, une rapsodie de bévues et de faussetés : et il n’excepte pas le Patiniana, imprimé dans le même volume. Ce que ce volume présente de plus curieux est l’approbation du censeur ; la voici :

    « Approbation de M. le président Cousin.

    « J’ai lu un manuscrit intitulé : Mixta Colloquia et varii Sermones eruditorum virorum Guidonis Patini et Gabrielis Naudæi, ai paraphé les feuillets au nombre de 87, et en retranchant quelques endroits que j’ai marqués, n’y ai rien trouvé qui en puisse empêcher l’impression, si monseigneur le chancelier a agréable d’en accorder le privilége. Fait le 26 juillet 1699, signé Cousin. »

    L’imprimé porte : ni ait rien trouvé ; je n’ai vu là que deux fautes d’impression.

    J’ai possédé un manuscrit complet du Naudæana et Patiniana. C‘était un petit in-4o. de 70 feuillets, dont trois blancs : les passages retranchés par M. le président, faisant fonction de commis à la douane des pensées, sont les plus piquans.

    On a réimprimé à Amsterdam, en 1702, in-12, le Naudæana et Patiniana. L’édition augmentée par Lancelot fut publiée par Bayle, qui l’avait reçue du père Vitry. Le libraire, pour rendre, dit-on, son édition plus long-temps nouvelle, l’a datée de 1703. Il s’est en cela conformé à un usage de la librairie, qui est de dater de l’année suivante les ouvrages imprimés dans les derniers mois de l’année.

  1. Poésies de madame Desboulières, p. 134, 135, édition d’Amsterdam, 1694.
  2. Avis au lecteur, au-devant des Lettres de Guy Patin, folio * 6 verso.
  3. Mois d’avril 1684, art. I, pag. m. 116, 117. Voyez aussi le Journal de Leipsic, 1684, pag. 251.
  4. Voyez son Oraison funèbre, prononcée par M. l’évêque de Meaux, le 10 de mars 1687, pag. 56, 57, édition de Hollande.