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ORIGÈNE.

choses créées, qui est l’instabilité. Il voulait donc qu’autant que Dieu est incapable de changement, autant la créature fût incapable d’être fixée à rien de permanent et d’éternel, soit pour le bien, soit pour le mal. Ainsi il prétendait qu’après que tous les esprits purifiés de leurs taches seraient rentrés dans la divinité[* 1] dont ils sont des écoulemens, selon lui, il leur arriverait tout de nouveau de se détacher de son sein, comme des étincelles qui sortent d’une fournaise, et qu’en punition de cette[* 2] légèreté ils seraient condamnés à rentrer dans de nouveaux corps : que pour cela il faudrait créer de nouveaux mondes, et qu’ainsi durant toute l’éternité ce ne seraient que révolutions périodiques semblables à celles des saisons[1]. » La note marginale du père Doucin mérite d’être rapportée, car elle nous apprendra qu’il y avait dans l’origénisme un rameau du spinosisme, savoir l’identité de tous les esprits avec la divinité. Voici donc ce que cet auteur observe après avoir cité les paroles de saint Jérôme : « Remarquez que Ruffin a retranché cet endroit de sa traduction. Lisez le dernier chapitre du livre III, où ces paroles, et erit Deus omnia in omnibus, sont expliquées fort au long. Saint Jérôme poursuit : Ne parvam esse putaremus impietatem eorum quæ præmiserat in ejusdem voluminis (quarti) fine conjungit omnes rationabiles naturas, id est, Patrem et Filium et Spiritum sanctum, angelos, potestates, dominationes, cæterasque virtutes, ipsum quoque hominem secundum animæ dignitatem unius esse substantiæ… Et qui in alio loco Filium et Spiritum Sanctum non vult de patris esse substantiâ, ne divinitatem in partes secare videatur, naturam omnipotentis Dei Angelis hominibusque largitur. Ex quo concluditur (inquit) Deum et hæc quodammodò unius esse substantiæ. Unum addit verbum, quodammodò, ut tanti sacrilegii crimen effugeret. Voyez liv. III, ch. XVI[2]. »

  1. * In libro e tertio quoque tertio περὶ ἀρχῶν disputationem longissimam ad extremum intulit, et erit Deus omnia in omnibus ut universa natura corporea in eam redigatur substantiam quæ omnibus melior est in diviuam scilicet, quæ nulla est melior. Origen., apud Hier., Ep. ad Avit.
  2. * Hier., Ep. ad Avitum, et Apol. 2.
  1. Doucin, Histoire de l’Origénisme, p. 338.
  2. Là même, pag. 339.

(L) On a publié en français la réponse d’Origène au philosophe Celsus.] M. Bouhéreau[1], si connu par les doctes lettres que M. Lefèvre de Saumur lui a écrites, est l’auteur de cette version. Nos journalistes[2] ayant assez fait connaître le mérite de ce travail, il n’est pas nécessaire que j’en parle. Je dirai seulement une chose qui confirmera une observation que j’ai faite plusieurs fois, c’est qu’il ne faut pas se fier beaucoup aux discours de conversation. J’avais ouï dire à quantité des personnes, que des gens de poids dans l’église réformée de Paris, et nommément M. Claude, avaient déconseillé à M. Bouhéreau la version française de ce livre-là, parce qu’il n’était pas à propos que tout le monde pût voir les objections du philosophe païen, et les comparer avec les réponses d’Origène. Mais M. Bouhéreau n’en parle pas de cette manière. Il dit[3] que des personnes d’un mérite distingué, et le fameux M. Claude entre autres, croyaient[4] qu’il était dangereux de mettre Origène entre les mains de tout le monde, à cause de quelques sentimens singuliers qui lui ont été reprochés de tout temps. Voilà une extrême différence entre ce que j’avais ouï dire tant de fois, et ce que M. Bouhéreau, mieux instruit du fait que personne, nous apprend lui-même. Mais quoiqu’il ne parle pas de cette raison prétendue du conseil de M. Claude, il est pourtant vrai que nos journalistes l’ont rapportée et condamnée[5]. Ils avaient sans doute ouï dire la même chose que moi. On m’avait dit aussi que le traducteur se persuade qu’on rétablirait tout entier le livre

  1. Il est de La Rochelle. C’est l’Éliss Bohérellus des Épîtres de Tanaquil le Fèvre.
  2. Voyez l’Histoire des Ouvrages des Savans, déc. 1699, pag. 519, et les Nouvelles de la République des Lettres, janvier 1700 ; pag. 3.
  3. Dans sa préface.
  4. Voyez contre une semblable pensée ce qui a été dit dans les Nouvelles de la République des Lettres, juin 1686, pag. 691.
  5. Histoire des Ouvrages des Savans, déc. 1699, pag. 522, et Nouvelles de la République des Lettres, janvier 1700, pag. 12.