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ORIGÈNE.

sentimens aussi avantageux qu’il lui plaira. Mais les lois de votre église, et celles de son style, et l’usage commun et public de tous les savans, c’est-à-dire la loi souveraine de leur langage, ne lui permettant pas de dire saint Origène, quelque opinion qu’il ait de sa personne, il ne saurait parler ainsi sans témoigner l’ignorance que je lui ai reprochée. »

On trouve mille exemples de cette nature dans les écrits polémiques ; et comme je l’ai déjà dit plus d’une fois, on ne ferait pas mal de les rassembler. Cela ne serait pas inutile pour refréner la licence que tant d’auteurs se donnent de s’écarter à droite et à gauche de l’état de la question. Je ne sais si les autres exemples égaleraient celui-ci en pièces hors d’œuvre.

(B) Un ministre… a fait depuis peu une observation très-solide sur un des dogmes d’Origène.] Avant que de rapporter les paroles du ministre, je copierai celles de son adversaire qui ont donné lieu à sa réflexion. C’est une faute considérable de comparer l’opinion d’Origène, touchant la non-éternité des peines, avec le dogme des sociniens sur cet article. Origène ne niait pas l’immortalité de l’âme, et n’a jamais enseigné que les méchans périssent corps et âme par la mort. L’erreur d’Origène est dangereuse, mais au moins elle n’a rien d’impie ; mais l’opinion socinienne est l’impiété épicurienne[1]. Voici la censure de ce passage : «[2] Il y a plus de danger pour la morale à dire : les réprouvés seront sauvés un jour, qu’à dire, ils seront anéantis. Origène a mis les démons et les damnés à peu près au même rang où les papistes mettent les fidèles et les régénérés, qui meurent chargés d’un grand nombre de péchés véniels, et qui n’ont pas de quoi faire dire des messes pour abréger ou adoucir leurs peines dans le purgatoire, dont le feu ne diffère de celui de l’enfer qu’en durée. Ainsi les libertins qui persévèrent dans leur libertinage et dans leurs crimes jusqu’à la mort, peuvent à peu près avoir, selon la théologie d’Origène, les mêmes craintes et les mêmes espérances que les meilleurs catholiques ont, selon la doctrine de leurs prêtres et de leurs moines. Le temps n’est rien en comparaison de l’éternité. Un enfer temporel ne peut pas être mis en parallèle avec un paradis éternel. Il est vrai que les maux présens effacent dans l’esprit des mondains l’idée des biens à venir ; et que le sentiment de ceux-là est ordinairement plus vif et plus fort que le désir et l’espérance de ceux-ci. Mais cela vient de la folie et de la corruption des hommes, et non pas de la nature des objets. De plus, il faut savoir que les maux à venir sont à peu près considérés comme les biens à venir, c’est-à-dire que les étourdis et les brutaux ne sont guère touchés ni des uns, ni des autres ; mais les sages et les gens à réflexion, envisagent de près les peines et les joies de l’autre vie, et s’en font une juste idée. D’où il suit que les gens de la première espèce ne seront pas plus effrayés de l’enfer ou du purgatoire dont Origène les menace, qu’encouragés et consolés par la fin de leurs supplices, et par la jouissance d’une béatitude éternelle dans le paradis, que ce docteur leur fait espérer ; et qu’au contraire, ceux qui ont des pensées plus sérieuses et plus profondes jugeront des biens et les maux futurs par leur durée, et se résoudront sans peine à traverser quelques siècles de mauvais temps, s’ils sont assurés de trouver au delà une éternité de bonheur et de joies infinies. Pour la doctrine des sociniens, elle ne donne point d’autre consolation aux pécheurs endurcis que leur anéantissement. Or, de la manière dont les hommes sont faits, ils aiment mieux être malheureux et heureux successivement, que de n’être point du tout. Et, selon la droite raison, il y a infiniment plus d’avantage à être éternellement comblé de bonheur, après avoir souffert quelque temps, qu’à rentrer dans le néant, et à se voir ainsi privé pour jamais d’une béatitude infinie dont on pouvait s’assurer la possession, et que l’on

  1. Jurieu, cité par Saurin, Examen de la Théologie de M. Jurieu, pag. 688.
  2. Saurin, la même.