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ORIGÈNE.

pas si chagrin que vous voulez le faire croire) ; vous me demandez quelle raison j’ai pour prouver que ce grand homme soit mort sans faire pénitence, et m’alléguez un vieux conte pour réfuter cette opinion. Voilà l’abrégé de votre dispute sur l’affaire d’Origène. Sur quoi je vous dirai premièrement que vous me faites tort de m’imputer de savoir qu’il ait prié les bourreaux de lui couper la tête. C’est ce que je ne savais pas, n’en ayant rien vu dans Eusèbe[* 1], qui traite son histoire fort au long dans le sixième livre. Vous m’accusez aussi, avec la même injustice, de savoir que sa mère lui baisait la poitrine pendant qu’il était endormi. J’ai bien appris d’Eusèbe que Léonidas, son père l’avait quelquefois ainsi caressé dans son enfance, lui baisant l’estomac avec respect, comme un sanctuaire au-dedans duquel était consacré le St.-Esprit, et qu’il se disait heureux d’avoir un si admirable enfant. Sans doute vous aurez trouvé ces histoires en la forme que vous les débitez, dans le même auteur qui vous a appris qu’Athanase avait été autrefois grandement loué et estimé par les ariens. Mais la plus cruelle de toutes les injures que vous me faites est que, pour avoir occasion de débiter ces lieux communs et ces histoires, vous m’accusez[* 2] d’avoir cru et assuré comme une chose certaine, qu’Origène est damné. Vous faites passer, me dites-[* 3] vous, les défauts de sa doctrine jusqu’à sa personne, parlant même de sa damnation, comme si vous aviez été par avance dans les enfers, et que vous y eussiez trouvé Origène ; et deux pages plus bas[* 4], je ne saurais souffrir, dites-vous, que vous preniez le parti de ceux qui soutiennent qu’Origène est damné ; et à la fin du chapitre, vous avez pris, dites-vous, l’opinion de ceux qui tiennent qu’Origène est damné… Mais, mettant à part cet excès de votre passion, qui vous a dit que je tiens qu’Origène est damné ? Où est-ce que j’ai déclaré que ce soit là mon sentiment ? À Dieu ne plaise qu’une si injuste présomption me soit jamais entrée dans l’esprit. Je laisse au Seigneur ses secrets, et ne suis pas si hardi que de m’émanciper à définir ce que nul homme ne peut savoir avec une certitude de foi. Mais, au reste, s’il nous est permis de juger de ces choses par les apparences, je crois d’Origène ce que j’en souhaite, que Dieu, dont les miséricordes sont infinies, lui a pardonné ses erreurs, et n’a pas laissé périr avec les infidèles un vaisseau qu’il avait orné de tant de dons admirables, et dont tout ce que nous avons de véritables ouvrages ne respire qu’une foi et une piété singulières, et où les erreurs mêmes, dont ils sont quelquefois tachés (car on ne peut le nier), sont toujours accompagnées d’une modestie et d’une humilité ravissante, pour ne point parler de ses vertus et de la pureté de sa vie. C’est là mon sentiment, et je n’en ai jamais eu d’autre ; et ceux qui m’ont connu particulièrement, savent à quel point j’ai toujours admiré ce grand et incomparable esprit, et ce que j’en ai écrit en quelques endroits de mes petits ouvrages en peut faire foi. Si j’ai rapporté ce qu’écrit[* 5] le comte de Mirandole, que les théologiens de Rome ne purent souffrir qu’il doutât de la damnation d’Origène, je ne l’ai fait, comme il paraît, que pour montrer combien les maîtres docteurs dont M. Cottibi a embrassé la communion, sont éloignés du style qui donne le nom de saint à ce personnage. Ce n’est pas que j’approuve aucunement leur présomption inhumaine. Si j’ai noté la qualité de saint que M. Cottibi lui a donnée, je l’ai notée comme une marque de son ignorance dans les choses de l’antiquité, et dans la façon dont ceux qui les savent ont accoutumé d’en parler. Je ne l’ai point accusé d’avoir péché en cela contre la foi ni contre la bonté des mœurs. L’ignorance de l’antiquité n’est incompatible ni avec l’une, ni avec l’autre ; je lui permets de bon cœur d’avoir d’Origène des

  1. * Eus., Hist. l. 6, c. 2, pag. 203, A.
  2. * Ad pag. 267.
  3. * Ad pag. 269.
  4. * pag. 271.
  5. * L. à M. de la Tal., pag. 70, 71.