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ORIGÈNE.

l’origénisme spirituel, qui était une manière de quiétisme (I). Il ne faut pas oublier que l’une des choses qui donnèrent le plus de cours à la secte d’Origène fut que ses erreurs paraissaient capables de réfuter les manichéens (K), qui embarrassaient beaucoup par leurs objections les orthodoxes. L’un des meilleurs livres de cet auteur est sa réponse au philosophe Celsus : on l’a publié en français, l’an 1700 (L).

J’ai parlé de quelques autres éditions dans la remarque (A) de l’article Persona, ci-après. Voyez la note[a].

  1. Son Traité de la Prière, qui jamais été imprimé, le fut en grec et en latin, à Oxford l’an 1686. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, juin 1686, art. VIII. On y débite, selon la préface, qu’Isaac Vossius en avait acheté le manuscrit à Stockholm : la vérité est, comme je l’ai appris depuis ce temps-là par une lettre de M. Huet qui me fut montrée, que Vossius l’apporta à Stockholm, l’ayant acheté environ l’an 1636 de M. Rums, médecin de la reine de Bohème, lequel l’avait acheté des soldats qui avaient pillé la bibliothèque de Worms. Ce manuscrit étant passé des mains d’Isaac Vossius en celles de Herbert Thorndicius, passa en celles de M. Gale, qui l’a mis dans les archives du collége de la Sainte-Trinité, à Cambridge. Voyez M. Cave, de Script. Eccles., parte II, pag. 30, edit. Gen. 1699.

(A) Une remarque de M. Daillé sur… saint Origène eut des suites qui méritent d’être sues.] M. Cottibi, ministre de Poitiers, ayant changé de religion l’an 1660, écrivit une lettre à son consistoire, où il donnait quelques raisons de son changement. On pria M. Daillé de lui répondre, et il le fit avec une grande exactitude. Sa réponse fut imprimée avec la lettre de l’ex-ministre, l’an 1660, sous ce titre : Lettre écrite à M. le Coq, sieur de la Talonnière, sur le changement de religion de M. Cottibi. Il remarqua, entre autres choses, que le nouveau converti, qui se mêlait de parler de pères, et de prôner l’ancienne église, avait peu de connaissance de ce pays-là. On l’en convainquit par diverses preuves, dont la seconde est tirée de l’éloge de saint qu’il avait donné à Origène. Ce langage le trahit, et montre qu’il est étranger, et dans la république des antiquitaires, qui ne parlent pas ainsi d’un homme condamné par un concile œcuménique, et surtout dans les archives des papes, où tant s’en faut que le pauvre Origène ait pu obtenir le titre de saint, que dès l’an 494 il y fut nommé schismatique, et tous ses livres, excepté quelques-uns en petit nombre, condamnés par Gélase[* 1]. Il n’y a pas encore tout-à-fait deux cents ans, que Jean Pic, comte de la Mirandole, ayant publié à Rome, entre ses neuf cents propositions, qu’il est plus raisonnable de croire le salut d’Origène que sa damnation, les maîtres en théologie l’en reprirent, disant que cette conclusion est téméraire et blâmable ; qu’elle sent l’hérésie, et est contraire à la détermination de l’église universelle, comme il le rapporte lui-même dans son Apologie[* 2]. Que n’eussent-ils point fait, s’il eût mis Origène entre les saints, comme a fait M. Cottibi ? eux qui ne purent souffrir qu’il doutât de sa perdition, ni qu’il jugeât qu’il y avait plus d’apparence de le croire sauvé que damné[1] ! Voilà ce qu’on appelle une critique victorieuse : et quand nous ne saurions point d’ailleurs que le ministre de Poitiers n’avait point d’autre connaissance de la doctrine des pères, que celle qu’il avait acquise par la lecture de quelques controversistes, cette remarque de M. Daillé nous en convaincrait. Continuons l’histoire de cette censure ; nous y apprendrons qu’un auteur surpris en faute, et manifestement convaincu de s’être trompé, n’a point de meilleur parti à prendre que d’avouer de bonne grâce la dette, ou au moins de ne dire mot ; car presque toujours les efforts qu’il fait pour se disculper sont de pures extravagances. M. Cottibi répondit que le titre de saint ne se trouvait pas dans l’original de sa lettre, ou qu’il

  1. * Conc. Rom. Gelas., t. 3. Concil., p. 662, col. 2, B. C.
  2. * Johan. Pic. Apol., c. 7, p. 199.
  1. Daillé, Lettre à M. le Coq, pag. 70, 71.