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MAHOMET.

l’on en croit Cassiodore[1], il y avait au temple de Diane un Cupidon de fer ainsi suspendu. L’auteur anonyme des Annales de Trèves cite une lettre de Galba Viator, écrite au sophiste Licinias, où ce Galba fait savoir qu’il a vu à Trèves une statue de Mercure, faite de fer et fort pesante, qui demeurait suspendue entre le ciel et la terre, à cause de l’équilibre des forces qui l’attiraient en haut et en bas[2] : il y avait un morceau d’aimant au pavé, et un autre à la voûte, et l’on avait mis cette statue immédiatement au-dessus et au-dessous de ces deux morceaux d’aimant. J’ai bien de la peine à croire ces choses ; tant à cause de l’éloignement considérable qui était, dit-on, entre les statues de fer et les pierres qui les attiraient, qu’à cause des difficultés insurmontables que l’on trouverait à balancer si justement les attractions [3]. Je croirais plutôt ce que l’on a dit d’une statue de Mars, qui se collait à une Vénus d’aimant.

............. Ferrea Martis
Forma nitet, Venerem magnetica gemma figurat[4].
.........................
......... Cytherea maritum
Spontè rapit, cœlique toros imitata priores,
Pectora lascivo flatu Mavortia nectit.
Et tantum suspendit onus, galeæque lacertos
Implicat, et vivis totum complexibus ambit.
Ille, lacessitus longo spiraminis actu,
Arcanis trahitur gemmâ de conjuge nodis[5].


Mais au moins est-il bien sûr que le sépulcre de Mahomet ne doit pas être compté parmi ces merveilles. Ce faux prophète fut enterré à Médine où il était mort : quelques auteurs disent qu’on le mit dans le tombeau d’Aïcha [6] l’une de ses femmes, celle qui l’avait le plus aimé, celle que les musulmans qualifient la mère des croyans, ou la mère des fidèles, femme qui avait entendu les langues, et qui s’était appliquée diligemment à l’étude de l’histoire[7]. Ce tombeau est une urne de pierre : elle est par terre dans une chapelle où personne ne peut entrer ; car elle est entourée de barreaux de fer. Les pèlerins de la Mecque vont là avec une extrême dévotion, et baisent religieusement ces barreaux. C’est ce que vous trouverez dans un petit livre, De nonnullis Orientalium Urbibus, composé par Gabriel Sionita et par Jean Hesronita, et mis à la fin de la Geographia Nubiensis, dont ils publièrent une traduction latine, à Paris, l’an 1619. Voyez aussi la Dissertation du sieur Samuel André De Sepulchro Muhammedis. Nous verrons dans la remarque suivante ce que M. Bernier témoigne de la fausseté du conte qui regarde la suspension du tombeau.

Je ne quittera point cette matière sans rapporter un conte bien ridicule que j’ai lu dans les voyages de Monconys. « L’Oia de M. l’ambassadeur dit qu’il y avait une pierre à la Mecque, suspendue en l’air depuis que Mahomet y avait monté dessus pour monter de là sur le bouraq ; c’est un animal, selon l’Alcoran, plus petit qu’un mulet, et plus grand qu’un âne, que Dieu lui avait envoyé pour le porter au ciel. Comme la pierre le vit monter, elle le suivit ; mais lui s’en apercevant la fit arrêter, et elle demeura à l’endroit de l’air où elle se trouva alors ; d’autres disent que depuis, quelques femmes grosses passant dessous, de crainte qu’elle ne leur tombât dessus, s’étaient blessées, et qu’on y a mis des pierres dessous pour la soutenir, mais qu’elles n’y servent de rien, et que sans cela elle ne laisserait pas de demeurer suspendue en l’air[8]. »

(FF) ... Il n’est pas trop certain qu’aucun architecte soit capable d’un tel ouvrage. ] Je puis citer là-dessus une autorité qui n’est pas à mépriser : C’est la déclaration qu’a faite l’un des meilleurs disciples du fa-

  1. Cassiodor. Variar., lib. I, epist. XLV, pag. m. 45.
  2. Voyez l’Ausone Variorum de Tollius, pag. 403.
  3. Voyez Gassendi, Operum tom. II, pag. 134, qui fait mention du cheval de Bellérophon duquel on contait la même fable que du sépulcre de Mahomet. Il rejette tout cela.
  4. Claudian., de Magnete, vs. 25, pag. m. 79.
  5. Idem, ibid., vs. 31.
  6. Gabr. Sionita et Jo. Esronita, ubi infrà, pag. 25. Voyez la remarque (OO), nous critiquons cette expression.
  7. Gabr. Sionita et Jo. Esronita, de nonnullis Oriental. Urbibus, pag. 23.
  8. Voyages de Monconys, Ire. part., in-4°., pag. 464, 465, à l’ann. 1648.