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MAHOMET.

rait-on permis à tant de savans hommes du siècle passé, à Jean Annius de Viterbe, à Jean Hanténius de Malines, à nos docteurs Josse Clitou, Génebrard, et Feuardent qui loue et qui suit ces graves auteurs, de reconnaître la bête et l’Antechrist dans Mahomet, et autre chose qu’Énoch et Élie dans les deux témoins de saint Jean [1] ? »

(Z) Je ne saurais croire que son cadavre ait été mangé des chiens. ] Camérarius a inséré ce conte dans le Ier. chapitre du livre III du premier tome de ses Méditations Historiques [2]. Il nous citera son auteur. Mahomet « avait prédit à ses disciples qu’il délogerait du monde l’an X de son règne, mais qu’au troisième jour il ressusciterait. Sur ce un sien disciple, voulant essayer s’il disait vrai, lui empoisonna son breuvage : l’ayant avalé, et se sentant près de la fin, il dit à ceux qui étaient autour de lui : par l’eau, vous recevrez la rémission des péchés ; puis tout soudain mourut. Ses disciples gardaient le corps, attendant l’issue de sa prédiction : mais son corps puait si fort, que ne pouvant supporter cette ordure, ils se tirèrent arrière, et revenant dix jours après, trouvèrent qu’il avait été mangé des chiens. J’ai bien voulu transcrire cette histoire de la chronique d’Espagne, dressée par Jean Vaséus, qui dit avoir suivi un auteur nommé Lucas de Tude, pour ce qu’il ne me souvient point l’avoir lue ailleurs. » J’ai vérifié que Vaséus rapporte cela sous l’an 628, et qu’il cite Lucas Tudensis avec quelque restriction, hæc ferè Lucas Tudensis, dit-il. Baronius a inséré dans ses Annales[3] un fragment de l’apologie d’Eulogius, auteur du VIIIe. Siècle. On trouve bien de petits contes dans ce fragment, et entre autres celui que je viens de rapporter. Il y est même avec une circonstance qui mérite d’être sue. C’est que Mahomet avait assuré ses disciples que l’ange Gabriel le viendrait ressusciter le troisième jour. Ils se tinrent tout ce temps-là autour du cadavre, après quoi ils se retirèrent, s’imaginant que leur présence faisait peur aux anges ; mais personne ne gardant le corps, les chiens l’allèrent manger : ils n’en laissèrent que peu de chose qui fut enterré par les disciples de l’imposteur, bien résolus de se venger de cette injure, en faisant mourir tous les ans beaucoup de chiens. Baronius nous renvoie à plusieurs volumes qui ont été composés sur la vie de Mahomet, et il avoue qu’il s’est abstenu d’autant plus facilement de s’en servir, qu’il y avait trouvé beaucoup de mensonges. Abstinuimus libentiùs quòd multa fabulosa in eis posita invenerimus[4]. Un auteur luthérien[5], que j’ai cité deux ou trois fois, et qui rapporte ce conte sans le croire, nous va nommer divers auteurs qui en font mention. Prenez garde à ses citations[* 1]. Cadaver aliquot diebus mansisse insepultum, quòd tertio die se resurrecturum dixisset, posteà verò à canibus arrosum scribunt Eulogius et Vincentius [* 2]. Sed cùm parcum semper fuisse Muhammedem in jactandis miraculis, et ferro, non prodigiosâ virtute suam propagandam esse scripserit sectam, hanc narrationem suis potiùs relinquimus autoribus. Le père Maracci n’a pas été si incrédule : il ne rejette point ceux qui ont dit que les disciples de Mahomet négligèrent tellement son corps, à cause qu’ils étaient en différent sur la primauté, que les chiens le déchirèrent. Il se fonde sur ce qu’il y a des relations qui portent, que le sépulcre de ce faux prophète ne contient qu’une petite portion de son cadavre. Exiguam corporis portionem in illo inveniri, colligit auctor noster, non absimile vero esse, quod graves scriptores prodiderunt, quùm post morten Mahumeti de imperio proceres certarent, cadaver ejus, nemine in tumultu custo-

  1. (*) Hott., Hist. Or., l. 2, c. 4, pag. 273.
  2. (*) Apud Baron., A. 630, n. 9, l. 23, c. 47, ap. Magdeb., cent. 7, vs. 5, f. m. 364. Confer. Acta Mahometis, Francofurti cum iconibus edita anno 1597, pag. 261.
  1. M. de Meaux, Préface sur l’Apocalypse, num. 13, pag. m. 32, 33.
  2. Pag. 204, 205 : je me sers de la traduction de Simon Goulart.
  3. Ad ann. 620, num. 9 et seq.
  4. Ibidem, num. 12.
  5. Samuel Schultetus, in eccles. Mahumed., pag. 17.