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MAHOMET.

çât au mariage pour toute sa vie[1]. Bien loin de leur permettre de montrer la gorge, ou du moins le cou, il ne voulut pas qu’on leur vît les pieds : leur mari seul pouvait avoir ce privilége. Mulieres itaque bonæ se curent, ne lunaticum aspiciant, suoque peplo tegentes collum et pectus, omnenque suam pulchritudinem, nisi quantùm apparere necessitas coget, celent omnibus, speciemque pedum etiam eundo nisi maritis suis[2]. Mais il est vrai qu’en cela il ne fit que retenir la coutume qui s’observait dans l’Arabie ; car nous apprenons de Tertullien que les femmes de ce pays-là couvraient tellement leur visage, qu’elles ne se pouvaient servir que d’un œil. Judicabunt vos Arabiæ fœminæ ethnicæ, quæ non caput, sel faciem quoque ita totam tegunt, ut uno oculo liberato contentæ sint dimidiam frui lucem, quàm totam faciem prostituere[3]. Je crois qu’on se trompe[4] quand on débite que Mahomet a permis aux hommes d’épouser autant de femmes qu’ils voudraient ; car il modifie sa proposition, et il la limite de telle sorte, qu’on voit bien qu’il a seulement voulu permettre qu’ils en épousassent jusqu’à quatre, s’ils se sentaient capables de les contenir en paix. Quotcunque placuerit, duas scilicet, aut tres vel quatuor uxores ducite, nisi timueritis eas pacificare posse [5]. Mais on ne se trompe point quand on assure qu’il ne leur a point limité le nombre des concubines. Aussi voit-on que les Turcs en peuvent avoir tout autant qu’ils sont capables d’en entretenir. La condition des quatre épouses n’est-elle pas déplorable, sous une loi qui donne droit au mari de leur ôter ce qui leur est dû et de le détourner sur de jolies esclaves, autant qu’il en pourra acheter ? Ce divertissement des fonds matrimoniaux ne réduit-il pas à l’indigence et à une extrême souffrance ? Qu’on ne me dise point que la loi y a pourvu, ayant accordé aux quatre épouses de coucher une fois chaque semaine avec le mari. De sorte que s’il s’en trouve quelqu’une qui ait passé une semaine entière sans jouir de ce privilége, elle est en droit de demander la nuit du jeudi de la semaine suivante, et peut poursuivre son mari en justice, en cas de refus [6]. Ce droit-là n’empêche point que la loi ne soit très-dure ; une loi, dis-je, qui réduit à de petites portions ce qui suffirait à peine s’il était entier, et qu’on peut enfreindre à si bon marché. Voilà une belle satisfaction pour la partie offensée ! une seule nuit, obtenue en réparation d’une semaine perdue, est bien peu de chose ; ce n’est pas la peine de se pourvoir devant les juges, et de s’engager à une poursuite si délicate, et si contraire à la pudeur. Et quel agrément peut-on trouver dans une chose de cette nature, quand on ne l’obtient qu’en exécution de la sentence du magistrat ? Ce ne doit pas être œuvre de commande, nihil hæc ad edictum prætoris. Quand on ne fait cela que par manière d’acquit, perfunctoriè, et dicis causâ, ce ne doit pas être un grand ragoût. Avouons donc que Mahomet ne ménageait guère le sexe.

Voici bien d’autres nouvelles. Il ne se contenta pas de le rendre malheureux en ce monde, il le priva même de la joie du paradis. Non-seulement il ne voulut pas l’y admettre, mais il voulut aussi que cette joie servît d’affliction aux femmes ; car on prétend qu’il a enseigné que les plaisirs du mariage, dont les hommes jouiront après cette vie, leur seront fourmis par des pucelles d’une beauté ravissante, que Dieu a créées au ciel, et qui leur ont été destinées de toute éternité ; et pour ce qui est des femmes, elles n’entreront pas dans le paradis, et ne s’en approcheront qu’autant qu’il faudra pour découvrir, à travers les palissades, ce qui s’y fera. C’est ainsi que leurs yeux seront témoins du bonheur des hommes, et du plaisir qu’ils prendront avec ces filles célestes. Que pouvait-on imaginer de plus incommode ? N’était-ce point être ingénieux à mortifier son prochain ? Lucrèce a

  1. Alcoran, surat. III.
  2. Ibid., surat. XXXIV.
  3. Tertull., de Virginibus velandis.
  4. Voyez Ricaut, État de l’Empire ottoman, liv. II, chap. XXI, et les Notes de Bespier.
  5. Alcor., surat. VIII.
  6. Ricaut, État de l’Empire ottoman, pag. 457.