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MAHOMET.

jacintes, dont l’éclat brillait depuis d’Orient jusqu’à l’Occident[1]. » Il n’y a rien de plus risible que ce qu’on veut qu’aient fait les anges gardiens de Mahomet. Ils le transportèrent sur une montagne, et ils lui fendirent le ventre ; ils lui lavèrent si bien les boyaux, qu’ils les rendirent plus blancs que la neige ; ils lui ouvrirent la poitrine, et lui ôtèrent du cœur le grain noir, ou la goutte noire, qui est une semence diabolique qui tourmente tous les autres hommes : ils lui firent tout cela sans qu’il sentît aucune douleur ; et ayant été ainsi lavé et nettoyé au dedans du corps, il s’en retourna de lui-même au logis. Notez qu’il n’avait alors que quatre ans[2].

(K) Il y a des gens qui s’imaginent qu’il a pu croire ce qu’il disait. ] Voici leur raisonnement. Tous les chrétiens demeurent d’accord que le diable est le vrai auteur du mahométisme, et qu’il ne s’est servi de Mahomet que comme d’un instrument pour établir dans le monde une fausse religion. Il faut donc dire que Mahomet fut livré au diable par la providence de Dieu, et que le pouvoir que Dieu donna au démon sur ce misérable fut beaucoup moins limité que celui qu’il eut sur Job ; car Dieu ne permit point au démon de pervertir l’âme de Job, comme il lui permit de se servir de âme de Mahomet pour tromper les hommes. Avec un si grand empire, qui de l’aveu de tous les chrétiens a été cause que le démon a poussé ce personnage à dogmatiser, n’a-t-il pas pu lui persuader que Dieu l’avait établi prophète ? Il aura pu lui inspirer le vaste dessein d’établir une religion ; il aura pu lui communiquer l’envie de se donner mille peines pour tromper le monde, et il n’aura pu le séduire ? Quelle raison peut-on avoir d’admettre l’un, et de nier l’autre ? Est-il plus difficile de pousser la volonté à de grands desseins, malgré les lumières opposées de l’entendement, que de tromper l’entendement par une fausse persuasion, ou que d’incliner la volonté vers une fausse lumière, en sorte qu’il y acquiesce comme à une vraie révélation ? J’avoue que l’une de ces deux choses ne me semble pas plus difficile que l’autre. Mais si le démon a pu séduire Mahomet, n’est-il pas très-vraisemblable qu’il l’a séduit effectivement ? Cet homme était plus propre à exécuter les desseins du diable, s’il était persuadé, que ne l’étant pas. On ne saurait me nier cela ; car toutes choses étant égales d’ailleurs, il est manifeste qu’un homme qui croit bien faire, sera toujours plus actif et plus empressé qu’un homme qui croit mal faire. Il faut donc dire que le démon, se conduisant avec une extrême habileté dans l’exécution de ses projets, n’a point oublié la roue la plus nécessaire à sa machine, ou la plus capable d’en augmenter le mouvement ; c’est-à-dire qu’il a séduit ce faux prophète. S’il l’a pu, il l’a voulu ; et s’il l’a voulu, il l’a fait : or on a prouvé ci-dessus qu’il l’a pu faire. Ajoutez à cela, disent ces messieurs, que l’Alcoran est l’ouvrage d’un fanatique ; tout y sent le désordre et la confusion ; c’est un chaos de pensées mal accordantes[3]. Un trompeur aurait mieux rangé ses doctrines : un comédien aurait eu plus de justesse. Et qu’on ne dise pas que le démon ne lui aurait point persuadé de combattre l’idolâtrie, ni de tant recommander l’amour du vrai Dieu et la vertu ; cela prouve trop : on en pourrait conclure que Mahomet n’a point été son instrument. Outre que nous pouvons dire, 1°. qu’il lui suffisait d’opposer au christianisme une fausse religion, encore qu’elle tendît à la ruine du paganisme ; 2°. qu’il n’est pas possible de faire accroire que l’on vient de la part de Dieu, si l’on ne produit de beaux dogmes de morale[4]. Il ne servirait de rien de dire que ce faux prophète se vante d’avoir un commerce avec l’ange Gabriel ; car puisque l’Écriture nous apprend que le démon se transfigure en ange de lumière, ne pouvons-nous pas préten-

  1. Chevreau, Histoire du Monde, pag. 7. Voyez aussi Hotting., Histor. orient, pag. 149 et seq., et Hoornb., Summa Controv., p. 77, 78.
  2. Hoornbeek, ibid., pag. 78. Il cite Job. Andream, Confus. Sectæ Muhammed., cap. I, et Alcoranum Germanicum, cap. IV.
  3. .....Rudis indigestaque moles :
    Nec quicquam nisi pondus iners, congestaque eodem
    Non benè junctarum discordia semina rerum.
    Ovid., Metam., lib I, vs 7.

  4. Voyez les Pensées diverses sur les Comètes, num. 190.