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MUSURUS.

il y est représenté comme un homme si éloigné de l’ambition, que les dignités lui paraissaient un fardeau insupportable. Nous voilà bien éloignés des auteurs qui parlent de lui. Il ne publia qu’un petit nombre de vers grecs, et quelques préfaces en prose (G). Le public lui est redevable de la première édition d’Aristophane et d’Athénée (H). Nous rapporterons le jugement qu’Érasme faisait de lui (I). André Schottus n’a point dû lui attribuer le grand Etymologicum (K). Le sieur Paul Fréher a commis une lourde faute (L).

(A) Un homme qui le connaissait personnellement. ] C’est d’Érasme que je veux parler. Je m’assure que plusieurs trouveront ici avec plaisir ce qu’il raconte de Musurus. Patavii neminem vidi celebrem, mortuos tantùm commemoro, præter Raphaëlem Regium hominem admodùm natu grandem,

....Sed cruda viro viridisque senectus.


Erat tùm, ut opinor, nor minor annis septuaginta, et tamen nulla fuit hyems tam aspera quin ille manè horâ septimâ adiret M. Musurum græcè profitentem, qui toto anno vix quatuor intermittebat dies quin publicè profiteretur. Juvenes hyemis rigorem ferre non poterant, illum senem nec pudor nec hyems abigebat ab auditorio. Musurus autem antè senectutem periit, posteaquàm ex benignitate Leonis cœperat esse archiepiscopus, vir natione Græcus, nimirùm Cretensis, sed latinæ linguæ usquè ad miraculum doctus, quod vix ulli Græco contigit præter Theodorum Gazam, et Johannem Lascarem qui adhuc in vivis est. Deindè totius philosophiæ non tantùm studiosissimus, vir sumnis rebus natus, si licuisset superesse [1]. La lettre d’où j’ai tiré ces paroles fut écrite l’an 1524. Érasme y dit quelque chose du père de Marc Musurus, bon vieillard qui ne savait que sa langue maternelle [2]. C’est quelque chose de considérable, et de bien glorieux au professeur grec, que cette assiduité avec laquelle un savant homme, tel que Raphaël Régius, fréquentait toutes ses leçons à l’âge de soixante et dix ans. Si tous les éloges que Musurus a reçus de Cœlius Rhodiginus, dans une épître dédicatoire [3] sont véritables, on aurait tort de lui refuser le titre de grand personnage.

Je m’en vais citer un auteur qui lui attribue une très-grande lecture, beaucoup de mémoire, une extrême pénétration, une clarté admirable, et une tendresse merveilleuse pour son père. Nihil erat tam reconditum, quod non aperiret, nec tam involutum quod non expediret Musurus, verè Musarum custos et antistes. Omnia legerat, excusserat omnia. Schemata loquutionum, fabulas, historias, ritus veteres ad unguem callebat. Hanc tam consummatam eruditionem etiam insignis pietas commendabat, dùm patrem græculum jam grandævum amanter sedulòque foveret [4].

(B) Le désir de s’avancer l’obligea d’aller à Rome. Selon Paul Jove [5], ce fut la guerre qui le contraignit à quitter sa profession de Padoue, lorsqu’il se forma une ligue formidable contre la république de Venise [6]. Il faudrait donc qu’il fût sorti de Padoue l’an 1509. Paul Jove veut que depuis cette retraite, Musurus se soit tenu en repos dans son cabinet, jusques à ce qu’il alla à Rome, où Léon X attirait par des récompenses les plus célèbres génies. Mais, comme je vois dans une lettre qui fut écrite à Érasme, l’an 1518, que le sénat de Venise venait de faire savoir au public qu’au bout de deux mois on élirait un professeur des lettres grecques, pour succéder à Marc Musurus [7],

  1. Erasm., epist. V, lib. XXIII, p. 1209.
  2. Quodam die cùm domi ipsius cœnaturus essem et adesset pater seniculus, qui nihil nisi græcè sciebat. Idem, ibidem.
  3. À la tête du XIVe. livre des Antiques Leçons.
  4. Beat. Rhenan., in Vitâ Erasmi, pag. m. 33, 34.
  5. Jovius, in Elogiis, cap. XXX.
  6. Sævâ conjuratione externarum gentium afflictis bello Venetis indè exturbatus. Idem, ibid.
  7. Scias in senatu Veneto sancitum esse, atque etiam præconio publicatum, eligendum esse successorem Marco Musuro, qui publicé Græcas litteras auditores doceat, stipendiumque centenorum aureorum decretum. Epist. Erasm. XXVIII, lib. X, pag. 530.