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MUNUZA.

première avec Munioz, roi de Cerdaigne, Sarrasin révolté contre Iscam Miramolin, qui sous les auspices d’Abdérame, son lieutenant général en Espagne, et de Froïla, roi des Asturies, alliés pour lors du Miramolin, défit Munioz demeuré parmi les morts sur le champ de bataille en 737[1], laissant cette belle veuve au pouvoir d’Abdérame, qui la destina pour le sérail d’Iscam... Toutefois le roi Froïla en étant devenu passionné, le Miramolin la renvoya fort honnêtement, et Froïla l’épousa..... Les auteurs français et espagnols donnent partant mal deux filles à Eudes : l’une du nom de Ménine, mariée à Froïla ; l’autre du nom de Numérane, mariée à Munioz étant certain que ce n’en est qu’une même, alliée successivement à ces deux rois, dont le nom s’est un peu réfléchi dans l’idiome espagnol et dans l’idiome maure, mais n’est au fond nullement différent. On ne fonde cette supposition que sur ces paroles de Sébastien de Salamanque. Nuninam quandam adolescentulam è Vasconum prædâ sibi servari præcipiens (Froïla) posteâ eam in regale conjugium copulans [2]. Mais qui ne voit la faiblesse de cette preuve ? En 1er. lieu, la femme d’un gouverneur de Cerdaigne, Maure de nation, et qui n’avait pas de troupes gasconnes à son service, ne pouvait pas être une partie du butin fait sur les Gascons. En 2e. lieu, la femme de ce gouverneur fut remise à Abdérame qui l’envoya à son calife. Elle n’était donc point la Nunine de Sébastien de Salamanque ; car puisque Froïla donna ordre qu’on lui mit à part cette Nunine, c’est un signe manifeste qu’Abdérame n’en avait point disposé. Il semble même que s’il eût été présent à l’action où cette Nunine fut prise, Froïla n’aurait eu rien à commander touchant cette partie du butin. En 3e. lieu, si ces paroles, Froïla commanda qu’on lui gardât une certaine petite fille trouvée parmi le butin fait sur les Gascons, et puis l’épousa, pouvaient être expliquées de cette sorte, Froïla devint passionnément amoureux de la veuve du gouverneur de Cerdaigne, laquelle était tombée au pouvoir d’Abdérame, et avait été envoyée au Miramolin qui la renvoya fort honnêtement, et Froïla l’épousa : si, dis-je, ces sortes d’explications étaient une fois permises, il n’y aurait rien qu’on ne pût trouver partout ; et il ne serait pas difficile de prouver le blanc par le noir. Je ne demande point s’il y a de l’apparence qu’aucun auteur ait pu traiter de quandam adolescentulam è Vasconum prædâ, la fille d’un duc d’Aquitaine, la veuve d’un gouverneur de province devenu chef de parti, la plus belle princesse de son temps ; je ne demande pas, dis-je, cela, quelque raisonnable qu’il soit, de peur qu’on ne me réponde que les auteurs en ce temps-là écrivaient d’une manière fort simple et fort négligée. J’ai assez d’autres preuves sans celle-ci contre les suppositions de M. Audigier. Car, sans tant de façons, il ne faut que considérer les paroles qui précèdent immédiatement celles qu’il cite[3], et l’on touchera au doigt la fausseté de ses imaginations : Vascones rebellantes superavit atque edomnit, Nuninam quandam adolescentulam ex Vasconum prædâ sibi servari præcipiens, etc. Il est manifeste que ce butin fut gagné, non lorsque le gouverneur de Cerdaigne se précipita, mais lorsque le roi des Asturies punit la rébellion de quelques-uns de ses sujets. Or comme ce roi des Asturies ne pouvait point avoir de sujets rebelles au delà des Pyrénées à son égard, il est clair que les Gascons qu’il dompta n’étaient point sous l’obéissance d’Eudes, duc d’Aquitaine ; comment donc est-ce que la fille d’Eudes se serait trouvée parmi le butin ? Le savant Ambroise Moralès[4] a fait voir que les Gascons dont il est parlé dans ce passage de Sébastien de Salamanque, sont les habitans d’Alava, Alavenses. Concluons 1°. qu’il n’y a nulle apparence que la belle veuve ait jamais revu l’Europe depuis qu’elle eut mis le pied dans le sérail du calife Iscam ; on n’avait garde de se dessaisir d’un tel morceau en faveur de Froïla, dont l’alliance avec le Mi-

  1. Voyez la remarque suivante.
  2. Oihenart, Not. Vascon., pag. 191, dit qu’il a dans le manuscrit du collége de Navarre, à Paris, Muniam, et dans l’imprimé Muniminam.
  3. Il a cité le passage tout entier, p. 224.
  4. Lib. XIII, cap. XVII et XXV, apud Oihenart, pag. 192.