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MUNUZA.

d’Abdérame, et que personne n’en souffrit autant que lui : ce qui sert à réfuter ceux qui l’accusent d’avoir attiré les Sarrasins, comme je l’ai remarqué ailleurs[a].

  1. Dans de remarque (I) de l’article d’Abdérame, tom. I, pag. 32.

(A) Capitaine maure. ] Augustin Curion[1] parle de deux capitaines goths, sujets du roi d’Espagne, qui favorisèrent les Sarrasins : l’un s’appelait Mugnuza, et l’autre Mugnos : celui-ci, seigneur de Cerdaigne, Cerdaniæ Regulus, obtint des Sarrasins le gouvernement des places voisines ; et comme il connaissait le pays, et que d’ailleurs il était fort inhumain, il fit beaucoup de mal aux Espagnols [2] qui, des montagnes et des bois où ils se réfugièrent, faisaient des courses sur les Sarrasins. S’étant voulu plaindre de ce qu’on n’observait point le traité qu’on avait fait par son entremise avec Eudes, son beau-père, il fut assiégé par Abdérame ; il se sauva, et fut pris et décapité : ainsi périrent bientôt, dit cet auteur[3], les traîtres de la patrie. Quelles confusions dans cette histoire ! Les uns disent que Munuza était un Maure mahométan, qui se rebella contre son calife ; les autres que c’était un Espagnol et un chrétien, qui se jeta dans le parti des Sarrasins, et y demeura fidèle à quelques plaintes près. Rodéric de Tolède[4] dit que Muniz, gendre d’Eudes, avait fut mourir plusieurs chrétiens, et brûler l’évêque Anambalde.

(B) Il aimait... la princesse d’Aquitaine. ] Elle était fille d’Eudes ; mais j’avoue que je ne sais point comment elle s’appelait, encore que j’aie lu dans Mézerai[5] qu’elle avait nom Lampagia ; et dans un autre auteur, [6] qu’elle s’appelait Ménine ou Numérane [7]. Ce qui me tient en suspens à l’égard de Lampagia, est de voir que la Chronique des évêques d’Auxerre [8] donne ce nom à la fille d’un autre Eudes, femme d’Aimon roi de Sarragosse. Contigit eo tempore (c’est ainsi que parle cette Chronique) Pipinum filium prioris Karoli Aquitaniam ex vocatione Eudonis Aquitanorum ducis adversùs Aimonem Cæsar-Augustæ regem perrexisse ; que Lampagiam ipsius Eudonis filiam in conjugium sumpserat, et fœdus conjugii ruperat. Il est bien certain qu’il ne s’agit point du beau-père de Munuza dans ce passage, car outre qu’il mourut quelques années avant que Pépin succédât à Charles Martel, personne n’a dit qu’il ait jamais eu recours à ses voisins pour la vengeance des injures faites à sa fille par son mari. Voilà donc une Lampagia qui n’est point la femme de Munuza ; cependant, puisqu’il y a des écrivains [9] qui appliquent à Eudes beau-père de Munuza, les paroles de la Chronique d’Auxerre, et qui, par conséquent, le font père de Lampagia ; il n’est pas hors d’apparence que par une semblable erreur, on ait dit que la fille qu’on donna au gouverneur de Cerdaigne s’appelait Lampagia. Ainsi par cette voie l’on ne saurait découvrir rien de certain touchant le vrai nom de la femme de Munuza. Passons aux autres noms qu’on lui donne. On prétend qu’elle s’appelait Ménine ou Numérane[10], et l’on tâche de le prouver par des monumens conservés dans la Biscaye, et sur la foi desquels Garibai rapporte qu’Eudes eut une fille nommée Ménine ou Numérane, qui fut femme de Froïla, roi des Asturies. Pour faire quelque chose de cette preuve, il faut supposer que la princesse d’Aquitaine, dont le gouverneur de Cerdaigne devint amoureux, épousa en secondes noces Froïla, roi des Asturies. C’est aussi ce que l’on suppose [11]. Elle fut alliée deux fois, la

  1. Histor. Sarracen., lib. I, pag. m. 81.
  2. Contrà quos exercitum duxit Mugnoces vir immanissimus, qui quod regionum et locorum peritus esset, magnis eos cladibus afflixit. August. Curio, Histor. Sarracen., lib. I, pag. m. 88.
  3. Lib. II, pag. 112.
  4. Histor. Arab., cap. XIII.
  5. Abrégé chronol. tom. I, pag. m. 192. Moréri a copié cette faute.
  6. Audigier, Origine des français, tom. II, pag. 244.
  7. Oihenart, pag. 191, dit Momérana.
  8. Voyez-en les extraits au Ier, tome Veterum Franciæ Historicorum, publiés par Duchesne.
  9. Oihenart, Notit, Vascon., pag. 367. Audigier, Origine des Français, tom. II, pag. 220. Notez qu’Audigier, pag. 240, dit fort bien que Lampagia était fille de Hunaud, fils d’Eudes.
  10. Audigier, Origine des Français, tom. II, pag. 245.
  11. Là même.