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MOSYNIENS.

royaume était électif, et ils tenaient en tout temps leur prince sous la chaîne, et sous une forte garde [a]. Ils se nourrissaient de gland, et de la chair des bêtes sauvages, et ils dressaient des embûches aux voyageurs [b], et traitaient très-mal les étrangers [c]. Ils se faisaient des marques par tout le corps [d]. Consultez Xénophon au Ve. livre de l’expédition de Cyrus le jeune. Il y a donné un long détail de leur manière de s’armer et de se nourrir, etc. Il dit qu’étant seuls ils parlaient, ils riaient et ils dansaient, tout comme s’ils eussent été en compagnie.

  1. Pompon. Mela, lib. I, cap. XIX. Voyez aussi Diodore de Sicile, lib. XIV, cap. XXXI.
  2. Strabo, lib. XII, pag. 378.
  3. Pomponius Mela, lib. I, cap. XIX.
  4. Idem, ibid.

(A) Ils n’exceptèrent point de cette règle renversée l’œuvre de la chair. ] Apollonius a raison de les comparer à des pourceaux, puisqu’ils n’avaient point de honte de se porter à cet acte sous les yeux de leur prochain.

Οὐδ᾽ εὐνῆς αἰδὼς ἐπιδήμιος, ἀλλά, σύες ὣς
ϕορϐάδες, οὐδ᾽ ἠϐαιὸν ἀτυζόμενοι παρεόντας,
Μίσγονται χαμάδις ξυνῇ ϕιλότητι γυναικῶν.

Nec eos in populo pudet cœtùs Venerii : sed, in vicem porcorum
Gregalium, nihil quicquam reveriti arbitros
Humi et in propatulo commiscent cum uxoribus corpora [1].


Le scoliaste observe qu’il ne faut point entendre qu’ils s’accouplassent ainsi en public avec toutes sortes de femmes indifféremment, mais chacun avec la sienne. Pomponius Méla ne fait point cette distinction. Propatulo vescuntur, dit-il [2], promiscuè concumbunt et palàm. Je ne sais point sur quoi ce scoliaste se fondait. Aurait-il voulu se servir de la maxime, que dans les choses douteuses il faut toujours recourir au sens le plus favorable, et passer in mitiorem ? Mais les phrases d’Apollonius semblent fort claires contre l’exception, et autoriser nettement Pomponius Méla. Diodore de Sicile ne l’a guère moins autorisé [3]. Notez qu’on trouve dans Xénophon que les Mosynæciens, avec lesquels il fit alliance, eurent une extrême envie d’embrasser les garces qui suivaient le camp des Grecs, et de le faire en public selon leur coutume [4]. Au reste, la monstrueuse impudence de ces gens-là a paru dans d’autres peuples [5].

(B) On emprisonnait le roi le jour même, et on ne lui fournissait aucun aliment. ] Rapportons les termes d’Apollonius.

Ἢν γάρ πού τί θεμιςεύων ἀλίτηται,
Λιμῷ μιν κεῖν ἦμαρ ἐνικλείσαντες ἔχουσιν.

...Nam si quid alicubi in jure dicundo deliret,
Ipsum eodem die in custodiam datum, suffocant inediâ [6].


Pintien accuse Pomponius Méla de n’avoir pas bien compris la pensée d’Apollonius : il prétend que ce poëte grec a voulu dire que les Mosynæciens enfermaient leur roi le jour même de la sentence injuste, et le condamnaient à mourir de faim. Pomponius Méla dit seulement que, pour le punir d’avoir ordonné quelque injustice, ils le condamnaient à jeûner un jour entier. Reges suffragio deligunt, vinculisque et arctissimâ custodiâ tenent : atque ubi culpam pravè quid imperando meruêre, inediâ diei totius afficiunt [7]. Pintien se fonde sur le témoignage de deux auteurs qui ont été allégués par le scoliaste, et sur celui de Nicolas Damascène, qu’il a lu dans les recueils de Stobée. Mela verba illa ad famem

  1. Apoll., Argon., lib. II, vs. 1025, pag. m. 243, 244.
  2. Pomponius Mela, lib. I, cap. XIX, pag. m. 22.
  3. Diodor. Siculus, lib. XIV, cap. XXXI.
  4. Xenophon, de Expedit. Cyri, lib. V, pag. m. 209.
  5. Voyez la remarque (D) de l’article Hipparchia, tom. VIII, pag. 142.
  6. Apollonius, Argon., lib. II, vs. 1030.
  7. Pomponius Mela, lib. I, cap. XIX, p. 22.