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MORUS.

rabattre grand’chose des louanges qu’il répandait à pleines mains sur son ami. Il excuse le mieux qu’il peut l’humeur vindicative de M. Morus : L’importunité, dit-il [1], de ses malveillans semblait bien mériter que de fois à autre ils fussent ainsi émouchetés, pour leur enseigner le repos. Je vois tous les jours des gens qui s’aveuglent de telle sorte sur le chapitre de tel ministre dont ils se seront entêtés, sous prétexte des grands dons qu’ils lui attribuent, qu’ils parlent de son ismaélisme [2] presque avec éloge. C’est un dangereux ennemi, disent-ils, que monsieur un tel, il a bec et ongles, malheureux qui se joue à lui [3], comme s’il s’agissait de parler à la païenne d’un colonel de dragons, ou comme si un ministre de l’Évangile était un chevalier du Chardon, armé d’une devise menaçante, Nemo ne impunè lacessit, nul ne s’y frotte [4].

Qui me commorit, (meliùs non tangere, clamo)
Flebit ; et insignis totâ cantabitur urbe [5].


Il est difficile de croire que de tels ministres soient autrement attachés à la religion que par les liens de la vanité, et parce qu’elle leur fournit les moyens de s’ériger en petits tyrans. Encore un coup, parcourez tous les défauts à quoi la nature humaine est sujette, vous n’en trouverez point de plus opposé à l’esprit du christianisme, que la violence qui paraît dans les querelles de quelques-uns de ces messieurs. Elle témoigne que dans chaque démêlé ils veulent donner à connaître leur puissance, jusques au point que personne à l’avenir ne soit assez téméraire pour leur résister. Sans avoir lu Homère, ils mettent mieux en pratique les paroles d’Agamemnon, qu’aucun texte de l’Écriture.

...Ἐγὼ δέ κ᾽ ἄγω Βρισηΐδα καλλιπάρῃον
Αὐτὸς ἰὼν κλισίην δέ, τὸ σὸν γέρας, ὄϕρ᾽ εὖ εἰδῇς
Ὅσσον ϕέρτερός εἰμι σέθεν, ςυγέῃ δὲ καὶ ἄλλος
Ἶσον ἐμοὶ ϕάσθαι, καὶ ὁμοιωθήμεναι ἄντην.

.....Ego autem abducam Briseïda pulchram-genas,
Ipse profectus al tentorium, tuum prœmium : ut benè intelligas
Quantò potentior sum te : timeat autem et alius
Æqualem se mihi dicere, et comparari contrà [6].


Voyez Milton aux pages 44 et 190 de sa Réplique. Voyez aussi l’Histoire de l’Édit de Nantes, où l’on avoue que Morus entre ses belles qualités en avait qui ne lui faisaient pas honneur ; qu’il était imprudent, impérieux, satirique, méprisant ; et qu’il ne trouvait presque rien de bon que ses ouvrages, et les louanges de ses approbateurs [7].

(B) Quelques-uns prétendent que ce fut pour chagriner M. Spanheim. ] Sorbière sera mon garant ; car voici ce qu’il écrit à M. Patin [8] : Je ne vous puis dire de M. Spanheim, que ce que l’on publiait lorsqu’il fut décédé, que Saumaise l’avait tué, et que Morus avait été le poignard. L’histoire est longue, et pour la toucher en peu de mots, je n’ai à vous dire si ce n’est que M. de Saumaise n’aimait point feu M. Spanheim, par quelque jalousie d’esprit et de réputation dans l’école ; que pour le mortifier il fit appeler en Hollande M. Morus, duquel il ne connaissait que le nom, mais qui était le fléau et l’aversion de son collègue ; que le docteur remua ciel et terre pour l’empêcher de venir, et qu’il mourut lorsqu’il eut nouvelles que son adversaire était en chemin..... joint à cela un court éloge de M. Spanheim, et puis il ajoute touchant M. Morus, je n’en puis pas porter mon jugement sans vous le rendre suspect, pour ce qu’il est mon intime ami depuis le collége, c’est à-dire depuis plus de vingt-cinq ans, et que j ai livré pour lui des batailles où le père Jarrige s’est rencontre : Mais il est très-certain, et tout le monde avoue qu’il a l’esprit tout de feu, qu’il a de vastes

  1. Fides publica, pag. 114.
  2. Milton, Defensio pro se, pag. 134, produit une lettre où l’on dit de M. Morus ce qui fut prédit d’Ismaël, que ses mains étaient contre tous, et les mains de tous contre lui.
  3. Δυσμενέων παῖδες τῷ σῷ μένες ἀιτιασείαν. Voyez Homère, Iliad., lib. VI, vs. 127.
  4. C’était celle d’un roi de Navarre. Voyez le père Bouhours, Entret. des Devises, pag. m. 463, 464.
  5. Horat., sat. I, vs. 45, lib. II.
  6. Homer., Iliad. lib. I, vs. 184.
  7. Histoire de l’Édit de Nantes, tom. III, pag. 454.
  8. Sorbière, lettre LXIV, pag. 442.