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MORUS.

faire en sorte que chacun jouisse de ce qui lui appartient. Or les revenus dont il s’agit n’appartiennent pas à des chanoines impies, mais à la vraie église : il faut donc que les magistrats orthodoxes en usent avec ces impies comme avec des larrons [1]. S’ils ne le font pas, les bons pasteurs et les pauvres écoliers périront. Si Morlinus avait envie de répondre conformément à l’intention de Luther, il ne lui était pas difficile de prendre bientôt sa dernière résolution : car il paraissait aisément que Luther était d’avis qu’on destinât à l’entretien des ministres et des écoles les biens de l’église romaine.

  1. Hi reditus non sunt impiorum canonicorum, sed sunt veræ ecclesiæ. Quarè magistratus ecclesiæ debet etiam pœnam sumere de impiis tanquàm prædonibus. Ibid.

MORUS (Alexandre), l’un des plus grands prédicateurs de son siècle dans le parti réformé [* 1], était fils d’un Écossais, qui était principal du collége que ceux de la religion avaient à Castres dans le Languedoc. Il naquit en 1616, dans cette ville-là, et comme il avait l’esprit fort vif, les progrès de ces études furent fort prompts. N’ayant guère plus de vingt ans [a], il fut envoyé à Genève, pour y continuer ses études de théologie ; et voyant que la profession en grec, qui était vacante, allait être disputée, et que les curateurs de l’académie avaient exhorté par leur programme les étrangers aussi-bien que les citoyens à entrer en lice, il se mit sur les rangs avec plusieurs autres compétiteurs, ministres, avocats, et médecins, presque tous plus âgés que lui de la moitié, et se fit tellement admirer par la belle et éloquente manière de tourner les choses, dans toutes les preuves d’érudition qu’il fallut produire, que le prix de la dispute lui demeura [b]. Ayant exercé cette charge environ trois ans, il succéda à celles que M. Spanheim, qu’on avait appelé à Leyde [c], laissa vacante [d], qui étaient celle de professeur en théologie dans l’académie, et celle de ministre dans l’église de Genève. Comme il était grand prédicateur, et qu’il avait joint avec cette qualité beaucoup de littérature [e], il ne faut pas s’étonner que tous ses collègues n’aient pas été de ses amis. Mais il faut avouer qu’il y avait bien d’autres choses qui lui suscitaient des traverses ; car, sans parler de ses mœurs, qui dans tous les lieux où il a vécu ont été un objet de médisance par rapport à l’amour des femmes, ses meilleurs amis demeuraient d’accord qu’il avait beaucoup d’imprudence, et qu’il était fort mal endurant (A). Quoi qu’il en soit, il se forma dans Genève deux partis, l’un pour lui, l’autre contre lui ; et il ne faut pas douter que le premier de ces deux partis ne fût composé, non-seulement des personnes qui avaient de l’estime et

  1. * « Article, dit Leclerc, où Bayle, en contradiction avec lui-même, se fait l’apologiste d’un protestant sur des faits, et criants et prouvés suffisamment, pendant que sur de semblables faits, mais incomparablement moins bien prouvés, il a condamné Cayet et quelques autres. Je n’en ferai pas le détail, je me trouve trop pressé. On le trouvera dans ma Lettre critique pages 228-239. »
  1. Alex. Mori Fides publica, pag. 225.
  2. Voyez la Vie d’Étienne le Clerc, l’un des concurrens, imprimée à Amsterdam, en 1685, à la tête des Quæstiones Sacræ de David le Clerc, etc.
  3. Il y vint en 1642.
  4. Mori Fides publica, pag. 226.
  5. Voyez ce que Tanaquil le Fèvre lui écrit, epistolar. lib. I, pag. 219.