mon Morin était natif d’Aumale, et il avait autrefois été commis de M. Charron, trésorier de l’extraordinaire des guerres. C’était un homme sans lettres et d’une ignorance grossière, qui, s’étant voulu mêler de spiritualité, tomba dans de grandes erreurs. Il ne se contenta pas de les débiter en cachette à diverses personnes qui le regardaient comme un fou, il les renferma en partie dans le livre qu’il fit imprimer en cachette, en 1647, in-8o., sous le titre de Pensées de Morin, dédiées au roi : c’est un tissu de rêveries et d’ignorances, qui renferment les principales erreurs condamnées depuis dans les quiétistes, si ce n’est qu’il les pousse encore plus loin qu’aucun n’a fait. Car il enseigne formellement que les plus grands péchés ne font pas perdre la grâce, et qu’ils servent au contraire à abattre l’orgueil humain. Il entend de ces sortes de désordres les paroles de saint Paul, que l’on entend ordinairement des tentations. Il dit qu’en toute secte et nation Dieu a des élus vrais membres de l’Église.
» Que parmi les moyens de se dépouiller de toute propriété et présomption, un directeur peut interdire à son pénitent l’assistance à la messe aux jours de fête, la communion, etc. ; lui ordonner la communion sans confession ; défendre ce qui est commandé, et commander ce qui est défendu.
» Que Dieu permit que saint Pierre le niât pour épurer sa présomption ; que son désir de mourir pour Jésus-Christ n’était point vertu parfaite ; ni la négation, vice destructif de la vertu ; qu’il nia des lèvres et non du cœur.
» Il nie que le péché de saint Pierre ait été péché à mort.
» Il dit que saint Paul avait été non-seulement en l’infirmité de sa chair, mais même qu’il devait y être et s’y soumettre, et qu’il avait succombé aux tentations de la chair.
» Que la fréquente communion n’est utile qu’aux commençans, parce que Jésus-Christ se trouve mieux sous le pain des croix, que sous le lait du pain.
» Qu’on pouvait manger avant la communion, non-seulement pour cause d’infirmité, mais par l’avis du directeur, pour se mortifier.
» Que toute chute précédée de crainte et suivie de plaisir n’est pas péché, mais un témoignage de notre impuissance qui doit servir à nous humilier.
» C’est à peu près à quoi se réduit la théologie de ce fanatique, qui est sans aucuns principes.
» Il fit imprimer avec ces Pensées divers cantiques dont le style est pitoyable.
» Il fut quelque temps en prison, et relâché comme un visionnaire, jusqu’en 1661. Alors des Marets-Saint-Sorlin, qui avait été en grandes liaisons avec lui, et fait semblant, à ce qu’il avoue lui-même dans ses écrits, de le reconnaître pour le fils de l’homme ressuscité, le dénonça et se rendit son accusateur..... On fit à cette occasion le procès à Morin, et enfin il fut condamné à être brûlé vif ; ce qui fut exécuté au mois de mars 1663. On dit qu’il avait quelques disciples qui furent envoyés aux galères, et feu M. de Neuré disait en avoir vu un à Marseille qui croyait que Morin était ressuscité. Mais ceux qui ont connu M. de Neuré savent qu’il n’y avait pas grand fond à faire sur les histoires qu’il contait, quand elles tendaient au libertinage : car il représentait cet homme comme très-sérieusement convaincu de la résurrection de Morin. Cet homme mourut assez constamment, et on disait alors que les juges avaient été bien rigoureux, et qu’il aurait suffi de le mettre aux Petites-Maisons. Ceux-ci se défendaient sur le grand nombre d’impiétés qu’il avait reconnues pour être ses opinions, et qu’il soutenait, non pas à la vérité avec esprit, mais de sang-froid et avec une grande opiniâtreté. »
(E) J’ai appris quelques circonstances de son procès qui pourront servir de supplément et de correctif à son article. ] « Le 14 du même mois (de mars 1663), un nommé Simon Morin, natif de Richemont, proche Aumale [* 1], par arrêt de
- ↑ (*) Sa sentence dit aussi qu’il était de Richemont, proche d’Aumale.