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MORIN.

damus dans celle de M. Sufférdy ; mais tout cela est tellement plein de sottises, de badineries, et de faux événemens, et sent tellement le charlatan, et la bohémienne qui ne bute qu’à tromper, et à attraper une pièce d’argent, que j’ai de la peine à m’y arrêter. Je dirai seulement à la honte éternelle de cet astrologue Morin, que voyant que M. Gassendi, qui se moquait de son astrologie judiciaire, était infirme, et atteint d’une fluxion sur la poitrine, il fut assez impudent pour prédire et faire savoir à tout le monde par un imprimé exprès, qu’il mourrait sur la fin de juillet ou au commencement d’août de l’année 1650, prétendant par-là ériger un trophée à son astrologie ; et cependant M. Gassendi ne se porta jamais mieux qu’en ce temps-là, et il reprit tellement ses forces, qu’il me souvient que le 5 de février de l’année suivante [1], nous montâmes ensemble la montagne de Toulon pour faire les expériences du vide. »

Il est bon de voir de combien d’échappatoires Morin se savait servir, quand ses prédictions ne lui réussissaient pas. Il supposait que les influences des astres n’agissent point nécessairement, et que l’homme sage en peut détourner l’effet. Potest qui sciens est (hoc est qui propriâ vel alterius scientiâ monitus est) multos stellarum effectus avertere, ex Ptolemæo, aphor. 5 Centiloquii. Qui est ipsemet aphorismus quem citat D. Thomas, dum superiùs dixit sapiens dominabitur astris [2]. Appliquant cela à sa prédiction contre Gassendi, il remarque que ce philosophe en évita le coup par de bonnes et de salutaires précautions, par une diète régulière, par des exercices modérés, et en se transportant à Toulon où l’air lui était plus favorable [3]. Il ajoute qu’apparemment la peur de la prédiction l’obligea à prier Dieu plus ardemment de lui conserver la santé, et que ses prières ayant été exaucées démentirent l’astrologie, qui sans cela n’aurait pas été trompeuse [4]. Deindè etiamsi data prædictio mea tabellioni, fuisset quò ad effectum ab astris naturaliter inevitabilis, nonne Gassendus prædictionis meæ conscius ex suprà positis, potuisset ut Ezechias lib. 4, reg. cap. 20, rogare DEUM secretò, qui ipsum à morbo vel morte liberâsset supernaturaliter, sicque delusus et adhuc pro falso prophetâ habitus fuissem ! Nonne ægroti et nautæ in procellâ de vitâ naturaliter desperantes votis liberantur.... His ergò omnibus supernaturaliter liberatis, nunquid astrologus mortem eo tempore prædicens ex causis naturalibus, pro falso prophetâ erit habendus ? Certé non magis quam Jonas, qui ex ipsius DEI verbo Ninivitis, et hominum universalem prædixit subversionem ; quæ tamen non est subsecuta, quôd insigni pœnitentiâ à rege ad minimum pecus, sibi præcaverint adversùs iram DEI, qui illorum misertus est [5]. Courage, messieurs les astrologues, vous ne demeurerez jamais court, puisque vous cherchez un asile dans les exemples de l’Écriture. Menacez de tout ce qu’il vous plaira, de la mort, de l’exil, de la prison : promettez tout ce qu’il vous plaira, la santé, les richesses, les honneurs ; quoi qu’il en arrive, vous aurez une réponse toute prête. Ceux à qui vous promettiez des biens, et qui n’en ont pas joui, ne se sont pas bien conduits : ils n’ont pas prié Dieu dévotement ; ceux que vous aviez menacés de l’infortune, ont été prudens et dévots. Cela me fait souvenir des commentateurs apocalyptiques, qui, ayant promis une délivrance qui n’est pas venue, s’en prennent aux mauvaises mœurs de leur prochain. C’est une ressource assurée. N’oublions pas deux bonnes remarques des disciples de Gassendi. 1°. Ils soutinrent que c’est une effronterie punissable par le magistrat, que de publier qu’un tel et un tel mourront une telle année ; car combien y a-t-il de gens qu’une semblable menace est

  1. C’est-à-dire l’année 1650, qui est la suivante par rapport au temps où Morin avait publié sa prédiction : il la publia l’an 1649. M. Bernier en abrégeant a oublié de lever cette équivoque.
  2. Morin., in Defens. Dissert., pag. 114.
  3. Ibidem, pag. 116, 117.
  4. Fortassis Gassendus mortem admodùm metuens, nec omninò suæ confidens rigidæ diætæ, DEUM precatus est, qui ipsum exaudivit. Ibidem, pag. 120.
  5. Morin., in Defens. Dissertat., pag. 119.