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MORIN.

[1]. Gassendi le réfuta la même année sans s’emporter, mais en raisonnant fortement [2]. Il ne publia point cet ouvrage, et il s’engagea même à le supprimer lorsqu’il se réconcilia avec Morin, par l’entremise du baron de Tourves [3] : néanmoins il fut imprimé l’an 1649, avec une violente préface composée par Neuré ami de l’auteur. Gassendi en fit ses excuses à Morin, et lui protesta qu’il n’avait rien su de l’impression de son ouvrage [4]. Sa lettre fut rendue publique par Morin, qui la joignit avec un livre qu’il fit imprimer. Gassendi lui écrivit une autre lettre, pour se plaindre qu’on eût publié la précédente. Morin publia encore un fragment de celle-ci avec un nouveau libelle. Alors Gassendi rompit tout commerce avec lui, et ne daigna plus avoir égard aux écrits d’un tel adversaire : mais ses amis prirent autrement la chose : ils publièrent toute entière sa seconde lettre, et résolurent de pousser à bout cet astrologue. C’est pourquoi dès qu’ils eurent vu la dissertation de Atomis et Vacuo qu’il publia à Paris, l’an 1650, contre la philosophie d’Épicure, que Gassendi avait mise au jour [5], ils le réfutèrent impitoyablement. Bernier fit paraître un livre [6] qu’il intitula : Anatomia ridiculi muris, qui fut suivi deux ans après du Favilla ridiculi muris, ouvrage où il mit en pièces l’Apologie que Morin avait publiée [7] pour sa Dissertation. Celui-ci fut si outré de colère, qu’il fit voir le jour [8] à un livre dont voici le titre : Vincentii Panurgi Epistola de tribus Impostoribus. Ces trois imposteurs étaient Gassendi, Bernier et Neuré.

On le berna principalement pour avoir osé prédire que Gassendi aurait une maladie mortelle l’an 1650, et que l’effet de la maladie éclaterait, ou sur la fin du mois de juillet, ou au commencement du mois d’août. Cette prédiction astrologique fut fausse, et attira sur son auteur une grêle de reproches et d’insultes. Quâ providentiâ factum dicam, ce sont les paroles de M. Bernier [9], ô rerum bonarum inanissime, futilissimeque Morine ! ut ultrò mihi præbueris ansam, quam captare ab aliquot elapsis mensibus gestiebam (neque ego solus, sed multi etiam alii, quibus veritas cordi est) ut propalarem, scilicet mendaciloquium illud insigne, quo in æternun opprobrium tuæ damnatæ astrologiæ ausus es securè atque impudenter prædicere ter, et publicis etiam scriptis evulgare, Gassendum mortali morbo laboraturum, et vim morbi extremam, ex quâ deberet ejus mors consequi futuram in ipsomet julii, augustique continio superionis anni millesimi sexcentesimi quinquagesimi. Morin [10] répondit comme font tous les faux prophètes, qu’il n’avait pas dit positivement que le sieur Gassendi mourrait cette année-là ; mais qu’il l’avait seulement averti d’un péril mortel, qui pouvait être évité par de bonnes précautions. L’un de ses antagonistes fut plus exact que M. Bernier : car il reconnut les restrictions de l’astrologue. Astrologus Morinus ad stabiliendam ampliùs suarum prædictionum certitudinen : judicat ex astris ac divinat, sed cum præcautionibus consuetis almanachistarum quòd D. Gassendus morietur anno 1650 [11]. Mais nonobstant ces petites précautions, cet astrologue n’était pas indigne d’être bafoué comme il le fut. Je ne rapporterai point tout ce que Gassendi a observé là-dessus [12] ; je me contente de ces paroles de son abréviateur [13]. « Je pourrais ici rapporter en détail l’horoscope de M. Maridat [14], conseiller au grand conseil, dans laquelle on verrait que l’astrologue Jean-Baptiste Morin, qui l’a dressée, a aussi bien réussi que Nostra-

  1. Intitulé, Alæ tolluris fractæ.
  2. Sa réfutation est comprise dans la IIIe. lettre du traité de Motu impresso à motore translato, oper. tom. III, edit. lugd. 1658.
  3. Morin., in Defens. Dissert., pag. 21.
  4. Là même. Voyez aussi l’Anatom. ridiculi muris, pag. 8.
  5. À Lyon, l’an 1649, en 3 volumes in-folio.
  6. À Paris l’an 1651.
  7. À Paris l’an 1651.
  8. À Paris l’an 1654.
  9. Bernerius, in Anatomiâ ridiculi muris, pag. 127.
  10. Morin., in Defens. Dissertat., pag. 114.
  11. Apud Morimum, ibid., pag. 112.
  12. Gassend. Physicæ sect. II, lib. VI, pag. 747, tom. I Operum.
  13. Bernier, Abrégé de la Philosophie de Gassendi, tom. IV, pag. 485, 486, édit. de 1684.
  14. Voyez-le dans Gassendi, Oper. tom. I, pag. 746, 747.