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MORIN.

toutes les médisances d’un historien de ce cardinal ; il n’eût donc pas jugé comme il fallait de la qualité de cette histoire ; car pour être équitable il ne faut être prévenu ni d’amitié, ni d’inimitié. À plus forte raison doit-on dire que Matthieu de Morgues n’était pas propre à faire l’histoire dont il s’agit. Il avait été persécuté de cette éminence : il la haïssait mortellement ; il eût donc empoisonné les faits ; tout lui eût paru criminel ; et si quelque chose lui eût paru belle, il l’eût supprimée ou ternie. Il est certain que ceux qui ont eu des relations à ce cardinal nous en ont laissé de mauvais portraits ; les uns en ont dit trop de bien, et les autres trop de mal. Les uns voulaient reconnaître ou s’attirer ses bienfaits, et les autres se venger de ses injures : ils manquaient tous du désintéressement qui est essentiel à un bon historien ; ils espéraient, ou ils craignaient, ou ils haïssaient [1]. Matthieu de Morgues aurait eu néanmoins cet avantage, que la plupart des lecteurs eussent donné un beau nom à la licence qu’il aurait prise. Vous trouverez ci-dessus [2] dans un passage de Tacite, une exposition de ce que j’ai dit. Convenons qu’on est naturellement plus porté à soupçonner les historiens qui louent, que ceux qui blâment. Voyez la remarque (A) de l’article du maréchal de Marillac.

  1. Statui res gestas populi romani… perscribere, eò magis quòd mihi à spe, metu, partibus reip. animus liber erat. Sallustius, in Proæm. Belli Catilin.
  2. Dans l’article Marillac (Louis de), citat. (14), dans ce volume, pag. 298.

MORIN (Jean-Baptiste), médecin, et professeur royal en mathématiques à Paris, naquit le 23 de février 1583, à Villefranche en Beaujolais. Il fit son cours de philosophie à Aix en Provence, et puis il étudia en médecine à Avignon, et y fut reçu docteur en cette faculté, l’an 1613. L’année suivante il s’en alla à Paris, et entra chez messire Claude Dormi, évêque de Boulogne, qui l’envoya faire des recherches sur la nature des métaux dans les mines de Hongrie. Il descendit plusieurs fois dans les plus profondes ; et ayant cru reconnaître que la terre est divisée comme l’air en trois régions, il fit un livre là-dessus (A). Étant de retour chez son prélat, qui entretenait un astrologue écossais, il commença de goûter l’astrologie judiciaire (B), et il chercha par les règles de cette science, les événemens de l’année 1617. Il trouva que l’évêque de Boulogne était menacé, ou de la mort, ou de la prison ; et il ne manqua pas de l’en avertir. Le prélat ne fit qu’en rire [a] ; mais s’étant mêlé d’intrigues d’état, et n’ayant pas pris le bon parti, il fut traité de rebelle et mis en prison. Morin entra chez le duc Luxembourg, frère du connétable de Luines, l’an 1621 (C), et y demeura huit ans. Dès qu’il eut su la mort de Sainclair [b], professeur royal en mathématiques, il demanda de lui succéder, et cela lui fut accordé. Il prêta le serment de cette charge au mois de février 1630. On lui avait persuadé d’épouser la veuve de son prédécesseur ; mais dès la première fois qu’il voulut lui rendre visite, il trouva qu’on était prêt de la porter au sépulcre (D). Dès lors il prit une ferme résolution de ne se point marier, et il y persévéra toute sa vie. Il se fit beaucoup d’amis. Il eut accès chez les grands, et même chez le cardinal de Richelieu (E) ; et il obtint sous le car-

  1. Il était pourtant infatué de l’astrologie. Morin. Astrolog. gallica, lib. XXIII, pag. 648.
  2. Il mourut le 29 de juin 1629.