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MORGUES.

pour sa santé... Ce qui fut, dit-il, le plus cruel en toute cette procédure, fut l’affliction que donna la présence des prévôts et archers à mon père et à ma mère, qui étaient bien vieux ; car ils me voyaient le plus jeune de huit enfans ayant des cheveux gris. Il prétend que le cardinal le voulut perdre pour l’empêcher de faire une histoire. Ce bon seigneur, dit-il [1], savait bien que Saint-Germain n’était pas homme du temps, que Dieu lui avait donné un peu d’esprit pour remarquer ce qui se passa, que son âme était assez bonne pour ne laisser point accabler l’innocence sans soupirer, et que son courage ne serait point si lâche de renier sa maîtresse dans sa passion. Ce cardinal se défia de ces qualités qui ne sont pas celles qu’il désire : il s’imagina ce qui n’était pas, mais ce qui pouvait être... Il se résolut de faire arrêter prisonnier celui qui ne faisait rien qui pût déplaire, mais qui pouvait dresser dans une autre saison la véritable histoire du temps, et écrire franchement ce qu’il avait connu de bien en la conduite de la reine, et de mal en celle du cardinal.

Il y a beaucoup d’apparence que le cardinal redoutait la plume de Saint-Germain, et qu’il avait un pressentiment des libelles qu’elle devait faire éclore, et qui chagrinèrent cruellement son éminence. On voit que dans toutes les négociations pour le rappel de la reine-mère il stipulait que Saint-Germain, qui, par des libelles diffamatoires n’avait rien oublié pour lui ravir sa réputation, fût livré au roi [2]. Ce grand homme avait le faible d’être infiniment sensible aux satires, comme je l’ai rapporté ailleurs [3].

(G) Il publia en 1631 la réponse qu’elle souhaitait. ] Elle a pour titre : Vrais et bons avis de François Fidèle, sur les Calomnies et Blasphèmes du sieur des Montagnes, ou Examen du libelle intitulé, Défense du roi et de ses ministres. C’est un des principaux traités du Recueil des pièces pour la défense de la reine-mère, qui a été si souvent réimprimé.

(H) Il avait publié des livres remplis de louanges pour le cardinal de Richelieu. ] L’auteur de la Réponse à sa Remontrance au roi [4] lui en cita divers passages pour le convaincre d’une contradiction qui lui ôtât toute créance. On lui allégua aussi [5] l’extrait d’une lettre qu’il avait écrite le 7 juin 1625 à monsieur le cardinal, où il lui promit un attachement perpétuel et inviolable, fondé sur le souvenir des grands bienfaits qu’il avait reçus, et sur l’admiration des qualités éminentes de ce ministre. C’était quelque chose d’embarrassant pour notre de Morgues. Voici ce qu’il dit pour sa justification. 1°. Il supposa que ses adversaires le faisaient passer pour un auteur satirique, à cause des livres qu’il avait écrits avant sa rupture avec monsieur le cardinal. Mais ce n’était point leur pensée, ils ne le traitaient de la sorte qu’en vertu des livres qu’il publia pour la reine-mère depuis qu’elle fut en guerre avec ce ministre. Il pouvait comprendre si facilement ce qu’ils entendaient, qu’il y a lieu de le soupçonner ici de mauvaise foi. 2°. Il prétendit que les mauvaises actions du cardinal n’avaient été découvertes que depuis la grande persécution de la reine-mère. Citons ses paroles sur chacun de ces deux points.

Saint-Germain n’a jamais rien écrit touchant les affaires publiques, que deux pièces, l’une par l’ordre du cardinal, et l’autre par son instante prière. La première fut les Vérités Chrétiennes, l’an 1620, pour soutenir que la reine avait sujet de se plaindre de ceux qui lui avaient ravi l’éducation de ses enfans.….. Monsieur le cardinal approuva grandement cet écrit, qui fut le manifeste d’Angers. Peut-être qu’il appelle maintenant libelle diffamatoire ce qu’il a pris en une autre saison pour un ouvrage rempli de raisons divines et humaines, et qui a servi à son dessein.......... Le second écrit auquel on voudrait faire porter le nom de libelle infâme est le Théologien sans passion, fait pour la défense de monsieur le cardinal, et pour faire taire quantité d’écrivains étrangers, aidés par les mémoires de

  1. Là même, pag. 3 et 4.
  2. Voyez la Vie du cardinal de Richelieu, tom. II, pag. 162, 175, édition de Hollande 1694.
  3. Dans l’article Grandier, au texte, entre les remarq. (D) et (E), tom. VII, pag. 195.
  4. Elle est dans le recueil de M. du Châtelet.
  5. Recueil de M. du Châtelet, pag. m. 560, 561.