Si Macron avait fait cela, il aurait pris un parti qui n’est rien moins qu’une rareté parmi les courtisans, et en général parmi ceux qui veulent faire fortune. L’une de leurs maximes est celle que Tirésias donnait à Ulysse :
......Scortator erit ? cave te roget. Ultrò
Penelopen facilis potiori trade[1].
Aujourd’hui l’on ne ferait pas semblant
de dormir[2] ; mais l’on passerait
dans une autre chambre, si l’on
voyait son Mécène disposé à caresser.
On se rendrait plus commode que ce
Galba qui donnant à souper à Mécenas,
favori d’Auguste, et voyant qu’il
commençait à escrimer des yeux et de
petits regards amoureux avec sa femme,
il laissa tout doucement aller sa
tête sur le coussin, comme faisant semblant
de dormir[3]. Supposez d’un
autre côté que Calligula se défiant
des intentions de Tibère, et ne
voyant rien encore de sûr pour lui à
l’égard de la succession impériale,
tâcha de corrompre la femme de
Macron, et s’imagina que s’il la mettait
dans ses intérêts par une promesse
de mariage, elle engagerait
son mari à le servir ; vous supposerez
une chose très-probable. Une pareille
conduite a été tenue cent et cent
fois. Supposons enfin qu’Ennia, persuadée
que Caligula succéderait à
Tibère, tâcha de lui donner de l’amour
à l’insu de son mari, et n’épargna
rien pour fomenter l’espérance
d’être un jour impératrice, nous
trouverons encore une grande probabilité.
Je crois néanmoins que la
narration de Tacite est préférable à
celle de Suétone, n’en déplaise à
Philon qui assure[4] que Macron
ignora les galanteries de son épouse.
(C) Tibère............ s’ouvrit assez là-dessus par un reproche qu’il fit à Macron. ] Vous quittez le soleil couchant, lui dit-il, et vous regardez le soleil levant[5]. C’est ainsi que va le monde, et c’est l’un des plus grands chagrins de la vieillesse des princes. Je ne donne point le détail des mesures que Tibère voulut prendre, lorsqu’il eut su les intrigues de Macron ; il suffit de rapporter ces paroles de Tacite : Gnarum hoc principi : eoque dubitavit de tradendâ republicâ primùm inter nepotes…..……. Mox incertus animi, fesso corpore, consilium, cui impar erat, fato permisit, jactis tamen vocibus, per quas intelligeretur providus futurorum. Namque Macroni non abditâ ambage, Occidentem ab eo deseri, Orientem spectari exprobravit, etc.[6].
(D) Ils furent contraints l’un et l’autre de s’ôter la vie. ] Dion Cassius, rapportant les choses qui firent blâmer Caligula, n’oublie point l’ingratitude de cet empereur à l’égard de Macron et d’Ennia. Elle fut si grande qu’il les réduisit à la dure nécessité de se tuer. Il ne se souvint, ni de l’amour qu’Ennia avait eu pour lui, ni des services que Macron lui avait rendus, et qui avaient été d’une si grande importance, qu’il était monté par-là sur le trône sans aucun collègue. Il ne se contenta point de lui enlever la vie, il le diffama, et se servit même d’une accusation dont la honte rejaillissait principalement sur sa personne ; car il déclara que Macron lui avait servi de maquereau : Καὶ ἐς αἰσχύνην ἧς αὐτὸς τὸ πλεῖςον μετεῖχε κατέςησε· προαγωγείας γὰρ ὲγκλημα αὐτῷ πρὸς τοῖς ὰλλοις ἐπήγαγε[7]. Et eâ infamiâ oneravit, cujus ipse maximâ in parte futurus esset, objecto nimirùm eo crimine quod stuprorum conciliatores fuissent[8]. Voilà ce qu’on trouve dans le LIXe. livre de Dion Cassius : et prenez garde que cet historien avait remarqué, que c’est une chose plus dure de contraindre les gens à se faire mourir eux-mêmes, que de les livrer au bourreau. Il fait cette observation contre Tibère, qui pour ne paraître pas l’auteur de la mort des accusés, les engageait par des motifs assez tentans[9] à prévenir
- ↑ Horat., sat. V, lib. II, vs. 75.
- ↑
....Doctus spectare lacunar,
Doctus et ad calicem vigilanti stertere naso.
Juven., sat. I, vs. 56. - ↑ Plut., in Amatorio, pag. 759, 760. Version d’Amyot.
- ↑ Voyez la remarque (D).
- ↑ Dio, lib. LVIII, in fine.
- ↑ Tacit., Annal., lib. VI, cap. XLVI.
- ↑ Dio, lib. LIX, pag. 743.
- ↑ C’est ainsi que Xylander et Léonclavius ont traduit : mais il eut mieux valu traduire Objecto nimirùm ei (Macroni) præter alia eo crimine, quòd stuprorum conciliator fuisset.
- ↑ Ceux qui attendaient leur condamnation mouraient dans des tourmens très-cruels, et tous leurs biens étaient confisqués ; mais rarement confisquait-on les biens de ceux qui s’é-