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MONTMAUR.

historien mit à la fin de son livre une épigramme, où par ses exhortations et par ses imprécations il animait tout le monde à prendre parti dans la guerre contre Montmaur.

Quisquis legerit hæc, poeta fiat :
Et de Cenipetâ mihi jocosos
Scribat Gargilio repentè versus.
Qui non scripserit, inter eruditos
Insulsissimus ambulet patronos.

Voilà quelle fut la conclusion de l’histoire de Mamurra. On a pu donc dire avec beaucoup de raison que M. Ménage sonna le tocsin ; et l’on pourrait aussi dire par une autre métaphore, qu’il battit la caisse pour lever du monde. M. de Balzac ne manqua pas de s’enrôler, ni d’exhorter ses amis à prendre les armes. Il servit et dans l’infanterie et dans la cavalerie. Le Barbon [1], ouvrage en prose qu’il envoya à M. Ménage, fut accompagné de deux poëmes dont l’un est intitulé : Indignatio in Theonem ludimagistrum, ex-jesuitam, laudatorem ineptissimum eminentissimi cardinalis Valetæ [2], et l’autre est une lettre à M. de Boisrobert, où il le prie d’attaquer Montmaur, et de trouver bon qu’il encourage M. Féramus à une pareille entreprise.

Nec solùm tibi Semidei dicantur, at ipse
Thersites, ipse antiquo qui dictus Homero,
Ore animoque canis ; pridem cui sensus honesti est,
Extinctusque in fronte pudor. Fœdissima longas
Bestia det pœnas. Descende ad probra latini
Nominis, ac turpes Mamurrâ interprete Graios,
Pollutumque notis omni ex auctore volumen.
Monstra refer verborun, alio quæ vexit ab orbe,
Terribiles Griphos, etc. [3].
.........................
.........................
Hic docto te Marte potens, Ferrame, vocamus,
Antè alios : (ea vota meo sint grata Metello)
Cùm tot tela volent, tot in unum tela parentur,
Otia agas, tuaque arma neges communibus armis ?
Vana piumne putet deformi parcere monstro,
Relligio ? Tune invictos torquebis iambos
In caput alterius ? Vivetne obscœnus amator,
Atque hostis Musarum, omnis temerator honesti,
Pindi tetra lues ? Pestem tamen ille minorem
Scaligeri Tullîque cliens, et Cæsare læso
Conspicuus sæclis, nigro devovit Averno :
Nec tales Verona tulit sinè vindice chartas [4],

À voir la manière dont ces messieurs travaillaient à grossir leur ligue, et à convoquer l’arrière-ban de la république des lettres, on dirait qu’il était question, non pas de faire lever le siége de la montagne de Parnasse à des barbares résolus de livrer les Muses à la discrétion du soldat, mais de la reprendre sur ces incirconcis, et de remettre en liberté les chastes filles de mémoire détenues dans les noirs cachots d’une nation sacrilége, impure et abominable.

Il y eut des gens qui censurèrent quelque chose dans ces vers latins de Balzac. On y trouva de l’obscurité et de l’inhumanité. L’obscurité consistait dans les paroles qui désignent le poëte Catulle. Nous avons vu ci-dessus [5] ce que Balzac répondit ; et vous pourrez voir dans ses Entretiens, sa réponse quant au reproche de cruauté. Il y fait voir que l’on a eu tort de dire qu’il était plus inhumain envers le nouveau Mamurra, que Catulle ne l’était à l’égard de ses ennemis. Je n’ai parlé, dit-il [6], que d’une simple exécration poétique, ou pour le plus d’une simple mort ; car, en bon latin, dévouer à l’enfer, ou à l’Averne, ne va pas au delà de la mort ; et la ciguë, la corde, l’épée, la peuvent donner. Mais le vindicatif Catulle enchérit sur tous ces supplices communs. Il parle de la dernière, et de la plus cruelle de toutes les peines : il condamne à être brûlé tout vif le mauvais poëte dont il s’agit, comme un sorcier, ou un athée.

Infelicibus ustulanda flammis.


Et plus bas,

Et vos intereà venite in ignem.

D’autres le blâment de s’être mêlé d’une espèce de composition à quoi ils jugent qu’il n’était pas propre. Considérez, je vous prie, ce passage de M. Guéret : « On a encore cette malheureuse fantaisie de préten-

    ques, préalablement appliqué à la berne ordinaire et extraordinaire. Il fut même son parrain, et lui tira le premier coup ; ensuite tous les autres savans y allèrent à la file, etc.

  1. Il fut imprimé à Paris, in-8°. l’an 1648.
  2. Il est dans le recueil qu’Hadrien Valois publia l’an 1643.
  3. Balzac, à la page 160, 161, du Barbon.
  4. Idem, ibid., pag. 165.
  5. Dans la remarque (K) de l’article Catulle, tom. IV, pag. 600.
  6. Balzac, Entret. VXII, pag. m. 204.