Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/508

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
498
MONTGAILLARD.

D’ailleurs le panégyrique de ce feuillant est plein de révélations, de contemplations et d’extases ; qui étaient si fréquentes au défunt qu’il en perdait le boire et le manger, et que même il y serait mort si lui-même n’avait obtenu enfin que Dieu le délivrât des plus violentes..... À peine fut-il expiré, que l’hydropisie dont il était mort donna lieu à un miracle. Comme il était devenu extraordinairement enflé, son corps n’avait pu d’abord entrer tout-à-fait dans le cercueil de plomb qu’on lui avait destiné. En attendant qu’on l’eût élargi un religieux se prévalut de cette conjoncture pour baiser encore une fois son pauvre abbé : dans ce moment il sentit émaner de la face du mort une odeur si divine et si miraculeuse, qu’il lui sembla d’en être tout renouvelé de corps et d’esprit...... Une personne religieuse de mérite et de qualité, toujours remplie de l’idée du saint abbé, lui dit en dormant, vous êtes heureux, à quoi il répondit, oui je suis bienheureux. Son panégyriste était d’ailleurs si persuadé qui n’avait point passé par le feu du purgatoire, qu’aux trois messes qu’il célébra sa mémoire, pendant les trois jours des exèques, il ne lui vint pas seulement la pensée de prier Dieu pour son âme [1]. Par ces morceaux, mon lecteur pourra juger aisément que notre panégyriste n’a point démenti son caractère. Je m’étonne que les catholiques osent reprocher aux protestans, que l’Angleterre fourmille de fanatiques depuis la réformation.

(F) On n’ose pas nier qu’il n’ait couru de terribles médisances contre sa réputation. ] « Quoiqu’il voulût passer principalement pour fort chaste et fort débonnaire, on l’accusa plus d’une fois de donner souvent accès dans sa maison à des femmes de mauvaise vie (ce que son panégyriste se plaint d’avoir de commun avec lui). On prétendit aussi que le Petit Feuillant avait fait mourir d’une mort horrible un de ses religieux : sur ce qu’on apprit que ce moine, qui, à ce qu’on dit, avait la charge d’une des forges de l’abbaye d’Orval, était tombé dans cette forge, et y avait été mis en cendres. On publia d’abord qu’il s’y était précipité lui-même ; mais s’étant trouvé que non, on ne douta pas en France que son abbé ne l’y eût fait jeter pour se venger de quelque injure qu’il pouvait en avoir reçue. Une autre fois encore, un gentilhomme l’accusa à deux différentes reprises d’avoir voulu le faire assassiner : il est vrai que le gentilhomme succomba dans ses accusations, mais il ne paraît pas si ce fut par défaut de preuves, ou par l’excès de faveur que l’archiduc portait à cet abbé [2]. »

(G) On soutient qu’il n’attenta jamais à la vie de Henri-le-Grand ] Il est difficile de ne le pas croire coupable de cette horrible entreprise, quand on lit avec attention ces paroles de Pierre-Victor Cayet : Le lendemain que fut pris le prieur des jacobins, fut aussi arrêté le sieur de Rougemont, lequel ayant entendu que le roi Henri IV était aux faubourgs de Paris, s’y était rendu : mais sur un avis que ledit sieur roi avait eu de son entreprise, fut pris, mené et conduit en même temps que ledit prieur, à la conciergerie de Tours. Interrogé, confesse qu’étant de la religion prétendue réformée, il s’était, dès l’an 85, retiré à Sedan, d’où la nécessité qu’avait sa famille l’avait fait revenir en sa maison en se faisant catholique. Mais qu’au mois de juillet dernier, étant à Paris rencontré par le Petit Feuillant, après plusieurs paroles qu’il lui dit touchant sa conversion, étant tombés de propos en autre sur la nécessité et le peu de moyens dudit Rougemont, il lui dit qu’il pouvait faire un service à Dieu et à l’église ; et qu’il lui avait répondu qu’il serait très-heureux s’il le pouvait faire : ledit feuillant lui dit que oui, en tuant le roi de Navarre, ce qu’exécutant il se pouvait assurer qu’il ne manquerait de commodités ; mais que sur celle proposition ayant eu plusieurs paroles en diverses fois avec ledit feuillant, comment cela se pourrait aisément faire ; enfin ils s’accordèrent qu’il s’en irait en l’armée royale, et que faisant

  1. Là même.
  2. Tiré du susdit Mémoire.