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MONTAUBAN.

rivière de Tarn, est célèbre par bien des endroits. Un homme illustre [a] m’a déjà communiqué de fort bons mémoires touchant cette ville-là ; mais comme il n’en a promis de beaucoup plus amples, et plus exacts, je renvoie cet article à un autre temps, afin de le mettre tout à la fois dans la meilleure posture que je pourrai. Je n’en touche qu’une chose qui est un peu étrangère : elle regarde un petit livre que M. l’abbé de la Roque a inséré dans ses Mémoires de l’Église (A).

  1. M. Ysarn, ci-devant ministre de Montauban, présentement d’Amsterdam. Son mérite est fort connu, et même par de bons livres imprimés.

(A) Un petit livre que M. l’abbé de M. Roque a inséré dans ses Mémoires de l’Église. ] En voici le titre : Montauban justifié, ou Réponse aux Fidèles de la R. P. R, qui demandent, 1°. si l’on peut faire son salut dans l’église romaine ; 2°. s’il leur est permis, pour des avantages temporels, et particulièrement en temps d’affliction, de changer de religion, par J. D. B. et J. L. J. ministres du saint Évangile. Pour faire connaître à quelle occasion cet ouvrage fut publié, je dois dire qu’il y eut à Montauban une émotion populaire environ l’an 1661. On y envoya des gens de guerre quelques mois après, et on les logea principalement chez ceux de la religion, et comme on permit aux soldats de commettre du désordre, et de vivre à discrétion, et qu’on les mettait plusieurs ensemble au même logis, ils faisaient craindre bientôt à leur hôte de se voir à la besace. D’ailleurs, on déchargeait du logement des soldats tous les habitans qui se faisaient catholiques. Cela fut cause qu’un très-grand nombre de bourgeois de Montauban embrassèrent cette religion [1]. C’est ce qui donna lieu au livre dont nous parlons, où l’auteur se proposa de faire l’apologie des habitans qui aimèrent mieux aller à la messe que de voir ruiner leur famille. Il était facile de reconnaître dans cet écrit la plume d’un missionnaire : cependant l’abbé de la Roque, plusieurs années après, le mit tout en entier dans ses Mémoires de l’Église [2] comme l’ouvrage d’un bon protestant. Il avance avec la dernière hardiesse que ce livre fut publié par deux ministres de la haute Guienne, à la face de toutes leurs églises et de tous leurs confrères, sans que personne du parti prit soin de désabuser le public, de ce que ces deux-là enseignèrent que les huguenots pouvaient sans scrupule de conscience se faire catholiques, etc. Avec la même hardiesse il assure que cet ouvrage assoupit le trouble et était dans les consciences et dans les familles, lorsque plusieurs particuliers de Montauban abjurèrent la religion protestante pour être délivrés du logement des soldats ; c’est pour cela, ajoute-t-il, que je l’insère tout entier dans mes mémoires, et parce qu’il est curieux et si rare qu’il ne s’en trouve plus d’exemplaires. Cette conduite est l’effet ou d’une crasse ignorance ou d’une fraude inexcusable. Aucun homme de la religion ne prit pour le livre d’un ministre Montauban justifié. On soupçonna le père Meynier, grand persécuteur à chicanes, d’en être l’auteur, comme aussi d’une Harangue qui avait couru quelques temps auparavant [3], et que M. Eustache, ministre de Montpellier avait réfutée par un petit livre intitulé l’Orateur Tertulle convaincu. Ce soupçon était bien fondé, car le continuateur d’Alegambe donne au jésuite Meynier, le livre dont nous parlons. L’abbé de la Roque devait-il ignorer ce fait ? Et n’y avait-il pas assez de marques de supposition dans tout cet ouvrage ? Au reste, il est si plein de passages d’auteurs protestans où l’on reconnaît que la vraie église est répandue en diverses communions, sans en excepter la romaine, qu’il est étrange que M. Nicole ait regardé le système de M. Jurieu comme quelque chose de nouveau.

  1. La plupart revinrent à la protestante, dès que la tempête fut passée.
  2. Publiés à Paris l’an 1690.
  3. Elle avait pour titre, Harangue des Sages de la R.P.R. à la Reine. Voyez ci-dessus la remarque (A) de l’article Eustache, tom. VI, pag. 375.