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MOLSA.

(A) Il était si débauché, qu’il se mettait au-dessus des précautions les plus nécessaires à ceux qui veulent éviter le dernier mépris. ] La corruption prodigieuse qui règne parmi les hommes, n’empêche pas que même les gens peu vertueux ne conçoivent du mépris et de l’horreur pour ceux qui ne veulent point garder les bienséances dans l’usage des plaisirs illégitimes. De là vint que Molsa se perdit de réputation, et arrêta tout le cours de sa fortune ; ce qui ne lui serait pas arrivé, si ses débauches avaient été ménagées avec plus de discrétion Nous allons entendre Paul Jove. Latinis elegiis, et etruscis rythmis pari gratiâ ludendo Musas exercuit ; tantâ quidem omnium commendatione, ut per triginta annos, qui Romæ Mecænatis nomen tulêre, insigni liberalitate, studioque adjutum adipiscendis honoribus efferre contenderint : prægravante semper ejus Genio, quùm redivivis toties amoribus occupatus, par ingenio studium substraheret, neque habitu, sel incessu, ullove nobili commercio carminum famam tueretur ; fœdè prodigus, honestique nescius pudoris, neglectum rerum omnium ad innoxiæ libertatis nomen revocabat usquè adeò supinè, ut summæ laudis, et clarioris fortunæ certissimam spem facilè corruperit [1].

(B) Il fit une harangue si forte contre L. de Médicis, qu’il le remplit de confusion et de désespoir. ] On a cru que Laurent de Médicis fut si consterné de l’infamie dont cette harangue le nota, que pour l’effacer il se résolut de redonner la liberté à la ville de Florence, par l’assassinat d’Alexandre de Médicis, son proche parent [2]. Sempiternam ingenii laudem retulit (Molsa) non à jucundo tantùm carmine, quo lascivisse videtur, sed pedestri etiam gravique facundiâ, quâ Laurentium Medicem, nefariâ libidine antiquis statuis noctu illustria capita detrahentem, apud Romanos ab et injuriâ dolore percitos accusavit. Eâ enim perscriptâ oratione, Laurentium usquè adeò pudore, et metu perennis probri consternatum ferunt, ut atroci animo, quo inustam ignominiæ notam novitate facinoris obscuraret, interficiendi principis, amicique singularis immane consilium susceperit ; scilicet ut Diis invitis patriæ libertas pararetur [3].

(C) Il mourut, non pas l’an 1548, comme l’assure M. de Thou, mais au mois de février 1544. ] J’eusse peut-être ignoré toute ma vie cette faute de M. de Thou, si le hasard ne m’eût fait tomber sur le volume des lettres de Luc Contile. J’y en trouvai une qui fut écrite à Bernardo Spina, et qui est datée de Modène, le 14 de février 1543 [4]. Le Contile y raconte que le matin de ce jour-là il avait vu le Molsa, et l’avait trouvé atteint d’une maladie incurable. C’était une hydropisie qui lui avait fait enfler, non pas les jambes selon la coutume, mais la tête. Trifon se tenait toujours au chevet du lit, et divertissait le malade le mieux qu’il pouvait. Stà sempre al capezzal del letto il buon Trifone, e burla, e giamba co’l Molza, et io me ne piglio spasso, e perche in somma lo tengon per morto, voglio vederne in fine, perche io, come mi rallegrai della sua vita, voglio dolermi della sua morte [5]. Ces paroles italiennes nous font connaître que le Contile voulait voir la fin de cela, et que tout le monde jugeait qu’elle était fort proche. On se trompa ; car nous apprenons par une lettre qu’il écrivit de Milan, le 21 de février 1543, à Claudio Tolomé, qu’il avait assisté eux funérailles du Molsa : Havrete saputa la morte dell’ unico Molza. Io giunsi a tempo di viderlo vivo e mi fu lecito d’accompagnarlo al sepolcro morto [6]. Après avoir lu ces choses, je ne doutai point que M. de Thou ne se fût trompé : néanmoins je voulus avoir de bons éclaircissemens ; et pour cet effet je m’adressai à M. de la Monnoie, qui eut la bonté de m’écrire tant de particu-

  1. Paulus Jovius, in Elogiis, cap. CIV, pag. m. 243.
  2. Il le commit l’an 1537.
  3. Jovius, in Elogiis, cap. CIV, pag. 244.
  4. Notez que tant ici que dans le passage de la citation (6), il faut 1544, et non 1543 : je dirai dans la page suivante que peut-être le Contile suivait la date de ceux qui ne commençaient point l’année au mois de janvier. Peut-être aussi que la date de l’année n’était point dans l’original de sa lettre, et qu’en l’y ajoutant, lorsqu’on l’imprima, on mit 1543, au lieu de 1544.
  5. Luca Contile, Lettere, lib. I. folio 85, de l’édition de Pavie, 1564, in-8°.
  6. Idem, ibidem, folio 56.