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MOLIONIDES.

de vigilance à découvrir les auteurs de l’assassinat, qu’elle en vint à bout : mais les Argiens ne voulurent point livrer Hercule [a] aux habitans de l’Élide. Ceux-ci demandèrent aux Corinthiens que les Argiens fussent désormais exclus du spectacle des jeux isthmiques, comme infracteurs des lois sacrées de ces jeux ; mais ils ne l’obtinrent pas. Alors Molione donna sa malédiction aux Éliens qui assisteraient à ce spectacle ; ce qui fit une telle impression sur eux, qu’au temps même de Pausanias les athlètes de cette nation m’assistaient jamais aux jeux isthmiques. Les Molionides avaient épousé les deux filles de Dexaménus, roi d’Olène [b]. Chacun laissa un fils : celui d’Eurytus eut nom Talpius, celui de Ctéatus s’appela Amphimachus. Ils régnèrent après la mort d’Augias, conjointement avec son fils Agasthènes. Au reste, les fables disent que les Molionides étaient deux cochers qui avaient bien deux têtes, quatre mains et quatre pieds, mais un corps seulement ; l’un tenait la bride, et l’autre le fouet. Ils s’entendaient parfaitement, et jamais Hercule ne put les vaincre que par artifice. On a voulu apparemment représenter par cet emblème le pouvoir de la concorde [c]. Quelques-uns ont dit que ces deux frères étaient nés dans un œuf d’argent (B). Je ne sais point si les deux Molons de Suidas ont été tirés des Molionides (C).

(A) Ils étaient fils d’Actor et de Molione. ] Avec Pausanias on croit ordinairement qu’ils furent nommés Molionides à cause de leur mère [1]. Le Scoliaste d’Homère ne croit point qu’ils aient été nommés Μολίονε par cette raison, dans les vers 749 de l’onzième livre de l’Iliade, mais ἀπὸ τῆς κατὰ τὴν μάχην μολύνσεως. Il se fonde sur un principe qu’Eustathius fait valoir dans une autre occasion ; c’est qu’Homère ne désigne personne par des noms empruntés des mères.

(B) Quelques-uns ont dit que ces deux frères étaient nés dans un œuf d’argent. ] Voyez les vers d’Ibycus qu’Athenée cite [2] ; mais prenez garde que la traduction de Dalechamp n’y est exempte ni des péchés d’omission, ni des péchés de commission. Elle n’exprime point le τέκνα Μολιόνας de l’original, et elle tourne κτνόναν par interfecerunt, au lieu d’interfectorem.

(C) Je ne sais si les deux Molons de Suidas ont été tirés des Molionides. ] Cet auteur, ayant dit que Molon est un nom propre, cite un passage d’Aristophane [3], qui fait voir qu’on disait anciennement par manière de proverbe, petit comme Molon. Ce pouvait être une contre-vérité, ou une ironie, comme quand nos paysans disent léger comme un bœuf : mais Suidas prend la chose au pied de la lettre ; il dit que ces termes s’appliquaient aux hommes qui avaient un petit corps, et qu’il y avait eu deux Molons bateleurs et brigands. Érasme [4] a suivi d’explication de Suidas ; mais il lui fait dire que l’un des deux Molons était bateleur, et l’autre larron. Suidas ne dit point cela : il ne fait aucun partage de ces deux métiers ; et bien loin de favoriser la conjecture d’Érasme, qui est que ces deux Molons étaient d’une petitesse de taille connue de tout le monde, il la combat en quelque façon par le terme de λωποδύται ; ce sont ceux qui volent sur les grands chemins ; ce sont ceux qui dépouillent ou qui détroussent les gens, à quoi les hommes très-petits n’osent

  1. Il demeurait alors à Tirynthe.
  2. Pausanias, lib. V, pag. 149.
  3. Voyez Plutarque au commencement du Traité de l’Amitié fraternelle et Adr. Junius, adag. XXXI, cent. V.
  1. Καλουμένων ἀπὸ Μολιόνης τῆς μητέρος. Pausan., in Arcad., pag. 248.
  2. Athen., lib. II, cap. XVI, pag. 59, A.
  3. In Ranis, act. I, sc. II.
  4. Adag. LVII, chil. III, cent. V.