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MILTON.

quelques personnes doctes et intègres, a été imprimée dans un ouvrage qui a pour titre : Truth brought to light, la Vérité mise au jour. Voilà les moyens par lesquels cette imposture a été pleinement manifestée. Ce grand secret qu’on avait forgé avec beaucoup d’artifice, et que les personnes intéressées à le tenir caché, avaient fait valoir si adroitement, a été éventé par des incidens bien légers et bien fortuits. Si le docteur Gauden n’avait pas été frustré de l’évêché de Winchester, il n’eût pas tant insisté sur les services qu’il avait rendus par le moyen de cet écrit. Sa veuve n’aurait pas composé la narration, si elle eût été gratifiée du revenu de six mois après la mort de son mari. Les deux princes, fils de Charles Ier., se laissèrent échapper leur secret par une surprise bien casuelle, lorsque milord Anglesey leur montra de l’écriture du roi leur père. Et si d’autres que Millington eussent eu soin de la vente des livres de ce milord, on eût ignoré l’aveu que firent alors ces deux princes. Et si le docteur Hollingworth n’eût pas irrité par l’indiscrétion de son zèle le docteur Walker, celui-ci n’eût point publié sa relation, et s’il ne l’eût point publiée, les papiers de M. North, qui ont mis le comble aux preuves irréfragables du fait, n’eussent point servi à la découverte [1].

Notez que dans tout ceci je ne dois et je ne puis être considéré que comme un simple traducteur des extraits latins que j’ai fait faire du livre anglais que je cite. Notez aussi qu’on a combattu cet endroit-là de la vie de Milton ; car M. Wagstaf a publié des observations pour infirmer le témoignage de milord Anglesey, la narration du docteur Walker, et les papiers de M. North ; mais M. Toland les a réfutées toutes dans son Amyntor, où il a de plus discuté tous les témoignages que l’on allègue pour maintenir au roi Charles la propriété de l’Icon basilica. On m’a dit que sur l’une et l’autre de ces deux parties de son apologie [2], il n’oublie rien de tout ce qui est nécessaire pour conserver à ses preuves toute l’évidence et toute la force qu’elles paraissaient avoir avant que l’on eût écrit contre. C’est tout ce que j’en puis dire, n’ayant point lu ce qu’on a fait contre lui, ni ce qu’il a répliqué, et ne le pouvant point entendre, car ce sont tous livres anglais [* 1].

Je finirai cette remarque par une chose dont Milton fit un grand bruit, et qui a été renouvelée dans la dernière dispute sur l’Icon basilica : c’est que la prière que le roi Charles Ier. délivra au docteur Juxon, immédiatement avant sa mort, intitulée : Prière pour le temps de captivité, laquelle se trouve imprimée à la fin des meilleures éditions qui se soient faites de son livre [3], est toute semblable à une prière qui se trouve dans un roman, je veux dire dans l’Arcadie du chevalier Philippe Sidney. Cela paraît par le parallèle que Milton a mis à la fin de sa réponse [4] en la manière suivante.

« Prière du feu roi d’Angleterre pour de temps de captivité. « Prière de Pamméla, tirée mot à mot de l’Arcadie de la comtesse de Pembrouk, p. 248.
« O Dieu tout puissant et éternel, auquel n’y a rien de si grand, qui puisse résister ; ni de si petit, qui soit méprisable ; jette l’œil de tes compassions dessus ma misère, et que ton pouvoir infini daigne m’assigner quelque portion de délivrance, telle que tu trouve- « O lumière qui vois tout et la vie éternelle de toutes choses, auquel n’y a rien de si grand, qui puisse résister, ni de si petit qui soit méprisable ; jette l’œil de tes compassions dessus ma misère, et que ton pouvoir infini daigne m’assigner quelque portion de dé-
  1. * Il est certain que Gauden fut l’éditeur de ce livre : il est certain que les chapitres 15 et 24, sont de Duppa. Rapin-Thoyras, Burnet, Hume pensaient que le livre ne pouvait être que de Charles Ier. Une lettre de Gauden, qui se trouve dans les papiers d’État (State Papers) de Clarendon, dément cette opinion. Malcom Laing, qui donna en anglais une Histoire d’Écosse, en 1800, pense que l’Eikon basiliké est de Gauden. Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique, au mot Ana et au mot Épopée, parle de cet ouvrage, et demande si Charles aurait mis un titre grec à son livre. Depuis qu’un roi de France a eu le sort du roi d’Angleterre, cette question littéraire est devenue aussi en France une affaire de parti.
  1. Tiré des Extraits latins de la Vie de Milton, par M. Toland.
  2. La Réponse aux Objections de M. Wagstaf, et la Réponse aux preuves directes alléguées par les partisans du roi Charles.
  3. Milton, pag. m. 24 de l’Iconoclastes.
  4. C’est-à-dire de son Iconoclastes.