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MESTREZAT.

ment de ce fameux controversiste. Celle qu’il eut avec le jésuite Regourd, en présence de la reine Anne d’Autriche, n’a point vu le jour ; et c’est une tradition générale parmi les réformés de France, que cette princesse, bien étonnée que ce jésuite, qui s’était vanté de confondre facilement tous les ministres, eût été réduit à la dernière confusion par Mestrezat, exigea que les actes de cette dispute ne fussent point imprimés, à quoi ceux de la religion obéirent très-fidèlement [1].

(E) Ses députations. ] On dit qu’ayant été député par un synode national à Louis-le-Juste, il répondit admirablement à trois questions que le cardinal de Richelieu suggéra à ce monarque de lui faire. 1°. Pourquoi vous servez-vous de la liturgie de Genève ? 2°. Pourquoi joignez-vous dans vos prières les papistes avec les tures et les païens ? 3°. Pourquoi souffrez-vous les ministres non français ? Il répondit, 1°. que faisant profession d’une même religion avec Genève, il n’était pas surprenant qu’ils se servissent de la même liturgie ; 2°. qu’on ne devait pas être étonné que dans le temps que la communion de Rome traitait les protestans comme les turcs et les païens les eussent traités, on eût joint les papistes avec ces infidèles ; mais qu’on avait ôté le mot de papistes dans les nouvelles éditions, même sous le règne d’Henri IV ; et que si cela était demeuré dans quelques-unes, elles n’avaient pas été faites en France ; 3°. qu’il serait à souhaiter que tant de moines italiens qui étaient en France, eussent autant de zèle pour sa majesté qu’en avaient les ministres étrangers, qui ne reconnaissaient dans le royaume aucun autre souverain que le roi. À ces mots le cardinal de Richelieu lui touchant l’épaule : voilà, dit-il, le plus hardi ministre de France [2].

(F) Ses sermons, ses livres. ] Son langage n’approchait pas de la politesse et de la netteté du style de M. Daillé ; mais il prêchait avec plus de profondeur, de raisonnement, et d’érudition que lui. Il n’y a point de sermons qui contiennent une théologie plus sublime que ceux qu’il prêcha sur l’Épître de saint Paul aux Hébreux. Ils ont été imprimés en plusieurs volumes. On dit [3], qu’ayant rencontré dans la rue un ecclésiastique de sa connaissance, qui avait prêché un carême avec applaudissement, et l’en ayant félicité : J’ai pris, lui répondit l’autre, dans vos sermons tout ce que j’ai dit de meilleur [* 1]. Il a traité la controverse de l’autorité de l’Écriture [4], et celle de l’église [5], avec une force toute particulière ; et il a réfuté sur ces importans sujets toutes les subtilités du père Regourd et du cardinal du Perron. Il fait voir dans ces ouvrages qu’il possédait bien les pères, et qu’il entendait bien la philosophie et l’Écriture. On estime fort son traité de la Communion à Jésus-Christ dans le sacrement de l’eucharistie [6]. Ses héritiers possèdent encore plusieurs manuscrits qui furent trouvés dans son cabinet [7] : ses sermons sur le catéchisme [8], l’explication de l’Épître de saint Paul aux Galates, celle de quelques chapitres de l’Épître aux Éphésiens, sermons sur divers textes détachés, et plusieurs opuscules. Notez qu’il publia à Sedan un volume de Sermons, l’an 1625 in-8°. On a, en deux volumes, ceux qu’il fit sur la 1re. épître de saint Jean.

(G) On conte une circonstance bien particulière d’un procès qu’il eut au parlement de Paris. ] Celui qui présidait à l’audience où la cause était plaidée, ayant remarqué à sa mine qu’il n’était guère content de son avocat, interrompit celui-ci, et s’adressant au ministre : Il me semble, lui dit-il, que ce qu’on allègue pour votre cause ne vous satisfait point ; la

  1. * Leclerc et Joly, qui ont rapproché cette anecdote de celle que raconte Faget, et que Bayle rapporte dans la remarque (M) de l’article Marca, pensent que l’aventure de Mestrezat devait être traitée de conte.
  1. Voyez Dumoulin, des Traditions, p. 79
  2. Mémoire de M. Pictet.
  3. Là même.
  4. Dans le livre intitulé : Traité de l’Écriture Sainte, où est montrée la Certitude et Plénitude de la Foi, et son Indépendance de l’Autorité de l’Église. À Genève, 1632, in-8°.
  5. Dans son Traité de l’Église, imprimé à Genève, 1649, in-4°.
  6. Imprimé à Sedan, 1625, in-8°.
  7. Mémoire de M. Pictet.
  8. On en imprime à Geneve quelques-uns avec d’autres de M. Daillé. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, novembre 1700, pag. 586.