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MÉNAGE.

de guerre, et qu’il possédât une haute charge dans les armées de France. Cette affaire se vida à coups de plume. Il attaqua par écrit M. Ménage, et l’offensa cruellement : mais les vers que M. Ménage fit imprimer contre lui sont les plus outrageans et les plus sanglans que l’on eût pu faire. Voici l’attaque, nous verrons ensuite la riposte. Ménage étant devenu amoureux de Madame de Sévigny, et sa naissance, son âge et sa figure, l’obligeant de cacher son amour autant qu’il pouvait, se trouva un jour chez elle dans le temps qu’elle voulait sortir pour aller faire quelques emplettes : sa demoiselle n’étant point en état de la suivre, elle dit à Ménage de monter dans son carrosse avec elle. Celui-ci, badinant en apparence, mais en effet étant fâché, lui dit qu’il lui était bien rude de voir qu’elle n’était pas contente des rigueurs qu’elle avait depuis si long-temps pour lui, mais qu’elle le méprisait encore au point de croire qu’on ne pouvait médire de lui et d’elle. Mettez-vous, lui dit-elle, mettez-vous dans mon carrosse : si vous me fâchez, je vous irai voir chez vous [1]. Vous voyez que l’offense est tout-à-fait forte, mais l’épigranme latine de l’offensé emporte la pièce.

Francorum proceres, mediâ (quis credit ?) in aulâ
Bussiades scripto læserat horribili
Pœna levis : Lodoix nebulonem carcere claudens,
Detrahit indigno munus equestre Duci.
Sic nebulo, gladiis quos formidabat Iberis ;
Quos meruit, Francis fustibus eripitur [2].

Si l’auteur de ces vers latins avait eu un bénéfice à charge d’âmes, si non-seulement il avait été curé, mais aussi un véritable curé, il aurait pris pour une injure très-choquante la simple accusation de faire l’amour à

    tions y condamnèrent divers endroits, dit Sallengre (Mémoires de littérature, tom. Ier., seconde partie, page 228) : l’éditeur fit donc des cartons pour être substitués aux articles ou passages déclarés licencieux par ses censeurs. Les feuillets changés par suite de ces cartons sont au nombre de trente-six, savoir : quatorze dans le premier volume, sept pour le second, sept pour le troisième, et huit pour le quatrième. Il y a donc trois sortes d’exemplaires du Ménagiana de 1715 : 1°. ceux avec la version première, avant la censure ; 2°. ceux avec la seconde version, c’est-à-dire, les passages substitués ; 3°. ceux avec les deux versions. Les exemplaires qui n’ont que la première version sont les plus communs : on trouve la seconde version dans les Mémoires de littérature de Sallengre, tome Ier., seconde partie, pages 228-275.

    À l’apparition de l’édition de la Monnoie, les libraires de Hollande s’empressèrent de relever les additions qu’il avait faites et fondues dans le Ménagiana, et ils les donnèrent sous le titre de Ménagiana ou les bons mots, remarques critiques, etc., tome troisième et tome quatrième, 1716, deux volumes petit in-12. Ces deux volumes, contenant le travail de la Monnoie, les Nouvelles littéraires, du 6 juin 1716, remarquèrent qu’on aurait dû leur donner le titre de Monnoyana plutôt que celui de Ménagiana.

    Les éditions du Ménagiana, de Paris, 1717 et 1719, ne différent de édition de 1715 que par les frontispices ; les éditions de 1729, 1739, 1754, chacune en quatre volumes in-12, ne peuvent être tout au plus que des réimpressions de 1715, et ne différent peut-être entre elles que par le frontispice.

    Il n’en est pas de même de l’édition en trois volumes in-8o., qui fait partie d’une collection en dix volumes, datée de 1789, et quelquefois de l’an VII (1799) : Ce Ménagiana, en trois volumes in-8o., est tronqué.

    On trouve des corrections au Ménagiana, dans les Mémoires de littérature déja cités, dans les Singularités historiques de D. Liron, tome III, pages 343 et suiv., dans le Ducatiana, IIe. partie, pages 221-290. On lit dans le Magasin encyclopédique, dixième année (1805), tome IV, pages 369-382, et tome V, pages 103-118, deux articles de M. A.-A. Barbier, sur le Ménagiana.

    On a beaucoup parlé d’un Supplément au Ménagiana, par P. Legoux, non imprimé. Le manuscrit que j’en ai vu a pour titre : Supplément du Ménagiana, par M. Pierre Legoux, conseiller au parlement de Bourgogne, avec un recueil de plusieurs bons mots, particularités et autres choses, recueillies par le même, des conversations de M. Jean Baptiste Lantin, conseiller au même parlement ; le tout copié sur le manuscrit original dudit sieur Legoux, communiqué par M. le président Legoux, son fils. Le Supplément du Ménagiana consiste en deux cent trente-cinq articles, qui non-seulement ne sont pas tous piquans, mais même ne sont pas tous nouveaux : plusieurs sont dans le Ménagiana imprimé.

    Je terminerai en disant que les diverses éditions du Ménagiana se suppléent quelquefois l’une l’autre. Je n’en donnerai qu’un exemple.

    Dans le Ménagiana de 1693, on lit : « M. du Moustier, le peintre, mandait un jour, écrivant à son fils, qui était à Rome, qu’il se gardât sur toutes choses de fréquenter les cabarets, les p..... et les j.... ».

    La Monnoie a mis, en 1715. « M. du Moustier, peintre, écrivant à son fils, qui était à Rome, lui mandait qu’il se gardât sur toutes choses de fréquenter les cabarets, les ....ns et les ...es »

    Les finales mises en 1715, suffisent pour indiquer la signification des initiales de 1693 ; et voici ce qu’il y a dans l’édition de Hollande, de 1713, où l’on a adouci une expression : « M. du Moustier, le peintre, écrivant à son fils, qui était à Rome, lui mandait qu’il se gardât sur toutes choses de fréquenter les cabarets, les courtisanes et les jésuites. »

    On lit à la fin du Canticum jesuiticum :

    Vos, qui cum Jesuitis
    Non ite cum jesuitis.

  1. Histoire amoureuse des Gaules, pag. m. 189, 190.
  2. Menagius, epigram. CXXXVIII, pag. 147, 148, edit. Amst., 1687.