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MÉNAGE.

compose ; mais qui sont très-inutiles dans les entretiens d’érudition. Ceux qui ne connaissent M. Ménage que par ses livres, se pourraient imaginer qu’il ressemblait à ces savans-là. C’est donc le distinguer d’eux, c’est le faire connaître par un talent qui n’est donné qu’à très-peu de gens de lettres, que de montrer le Ménagiana. C’est là qu’on voit que c’était un homme qui débitait sur-le-champ mille bonnes choses. Sa mémoire se répandait sur l’ancien et sur le moderne ; sur la cour et sur la ville ; sur les langues mortes et sur les langues vivantes ; sur le sérieux et sur l’enjoué ; en un mot, sur mille sortes de sujets. Ce qui a paru bagatelle à quelques lecteurs du Ménagiana, qui ne faisaient pas attention aux circonstances, a donné de l’admiration à d’autres lecteurs attentifs à la différence qu’il faut faire entre ce qu’un homme débite sans se préparer, et ce qu’il prépare pour l’impression. Ce Ménagiana contient des choses en ce genre-là, dont on pourrait dire ce qu’un ancien a dit des insectes[1]. Ainsi, l’on ne peut assez louer le soin que ses illustres amis ont eu de lui ériger un monument si capable d’immortaliser sa gloire. Ils n’ont pas été obligés de rectifier ce qu’ils lui avaient ouï dire ; car s’ils l’eussent fait, ils n’eussent pas été les historiens fidèles de ses conversations. Les mémoires les plus heureuses sont sujettes à se tromper ; et d’ailleurs M. Ménage disait quelquefois touchant certaines personnes, ce que d’autres gens mal instruits lui en avaient dit. Il ne se faut donc pas étonner qu’il ait quelques méprises dans le Ménagiana, et quelques faux faits en matière de personnalités. Il s’est trompé sur mon chapitre [* 1].

(B) Son démêlé avec le comte de Bussi-Rabutin. ] C’est un démêlé qui peut passer pour une querelle d’auteur, quoique ce comte fût homme

  1. * Voyez, tome XVI, la remarque (A) de la Vie de Bayle, par Desmaiseaux ; mais j’ajouterai ici quelques détail, sur le Ménagiana.

    La première édition est intitulée simplement Ménagiana, Paris, Florentin et Pierre Delaulne. 1693, in-12. Le faux titre porte : Menagiana, sive excerptæ ex ore Ægidii Menagii. Les auteurs ou rédacteurs étaient Baudelot, Galland, Delaunay, Mondin, Pinsson, Boivin, Valois, Dubos, Boudeville et un anonyme. L’éditeur fut Galland, c’est en son nom qu’est l’avertissement. Cependant on indique aussi quelquefois comme éditeur un nommé Goulley. Le Ménagiana a été réimprimé en Hollande, en 1693.

    François Bernier, médecin, très-maltraité dans le Ménagiana, fit paraître un Anti-Ménagiana où l’on cherche ces bons mots, cette morale, ces pensées judicieuses, et tout ce que l’affiche du Ménagiana nous a promis, Paris, Laurent d’Houry, Simon Langronne et Charles Osmont, 1693, in-12. Dans la préface où il maltraite les rédacteurs, il parle d’un petit M. Goulé, comme devant contribuer à la seconde édition.

    Peu après parut d’abord un volume intitulé : Ménagiana, ou les bons mots, les pensées critiques, historiques, morales et d’érudition, de M. Ménage, recueillies (sic) par ses amis seconde édition augmentée, 1694, in-12, suivi d’un autre volume, sur le frontispice duquel on lit second volume, et la date de 1694 : des exemplaires de ce second volume sont datés de 1695. L’éditeur de cette seconde édition fut l’abbé Faydit. Quelques articles de la première édition ont été supprimés. Tous ceux qui ont été ajoutés dans la seconde, n’ont pas été conservés dans la troisième. Les libraires de Hollande réimprimèrent aussi le second volume ; mais ils l’intitulèrent : Suite du Ménagiana, ou bons mots, rencontres agréables, pensées judicieuses, et observations curieuses de M. Ménage. Cette réimpression de Hollande présente une particularité remarquable. À l’occasion du chapitre de Valère Maxime, de l’ingratitude de la patrie envers les grands hommes, l’article du Ménagiana de édition de Paris, se terminait ainsi : « Il s’en trouve de nos jours presque dans tous les états du monde ; mais aucun pays ne nous en fournit davantage que la Hollande. On a vu périr Barneveldt ; MM. de Witt furent sacrifiés à l’ambition du prince d’Orange ; Grotius l’échappa belle ; et l’on prétend que l’amiral Tromp a été empoisonné avec de la cervelle de chat. » Les deux phrases que j’ai soulignées ont été, de gré ou de force, retranchées de l’édition de Hollande ; elles avaient d’abord été imprimées, mais le libraire fit un carton, et pour regagner les phrases retranchées, employa pour les autres un plus gros caractère.

    Le Ménagiana fut réimprimé en Hollande, en 1713, sous le titre de troisième édition augmentée, en deux volumes, petit in-12. Le second volume est intitulé : Suite du Ménagiana, etc., tome second (l’autre, pourtant, ne porte pas tome premier). Le passage sur Barneveldt, de Wiu, Grotius et Tromp, rapporté plus haut, y manque, page 369.

    La Monnoie donna, en 1715, Ménagiana ou les bons mots et remarques critiques, historiques, morales et d’érudition de M. Ménage, recueillies (sic) par ses amis, troisième édition plus ample de moitié et plus correcte que les précédentes, quatre volumes in-12, édition qui a éclipsé toutes les autres, mais qui ne les remplace pas entièrement.

    Des hommes graves ayant examiné les addi-

  1. Turrigeros elephantorum miramur humeros, taurorumque colla, et truces in sublime jactus, tigrium rapinas, leonum jubas, cùm rerum natura nusquàm magis, quàm in minimis, tota sit. Plin., lib. XI, cap. II. Aristote a dit aussi, Μᾶλλον ἐπὶ τῶν ἐλαττόνων ἢ μειζόνων ἴδοι τις ἂν τὴν τῆς διανοίας ἀκρίβειαν. Magis in minore genere (brutorum) quàm in majore videris intelligentiæ rationem. Hist. Animal., lib. IX, cap. VII.