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MÉLANCHTHON.

par le moyen de Ferret, valet de son apothicaire. On soupçonnait qu’ils étaient de la composition de Farel.… La lecture de ces billets acheva de produire l’effet que le cardinal de Tournon avait commencé, et Mélanchthon fut contremandé. Les semeurs de billets furent recherchés, et l’on publia un édit très-sévère que le cardinal chancelier Duprat avait dressé contre les luthériens. Il y eut le 29 de janvier 1535 une procession solemnelle, où le roi assista à pied, tête nue et le cierge à la main [1].

Il y a bien des faussetés dans ce récit, 1°. Je demanderai caution, avant que de croire sur l’autorité de Varillas [2], que la duchesse d’Étampes se mêla, pour l’amour des protestans, entre autres intrigues, de celle du voyage de Mélanchthon ; et que l’on offrait à celui-ci une chaire de professeur royal. 2°. Il paraît par la lettre du roi à Mélanchthon, que celui qui la porta se nommait la Fosse. On ne la donna point au sieur de Langei. 3°. L’électeur de Saxe crut si peu que le voyage de Mélanchthon rendrait luthérienne toute la France, que l’une des raisons pourquoi il n’y voulut pas consentir, fut qu’il le jugea plus nuisible que profitable aux progrès de la réforme. Cela paraît par l’original des Lettres qu’il écrivit sur ce sujet [3]. 4°. Tant s’en faut que sans délibérer un moment, il ait accordé à Mélanchthon la liberté nécessaire, et que de plus il l’ait exhorté à se mettre promptement en chemin, qu’au contraire il ne se laissa fléchir, ni par les prières de ce professeur, ni par celles de Luther, ni par les offices de l’ambassadeur de France [4]. Il écrivit ses excuses à François Ier., le 28 août 1535 [5]. L’ambassadeur s’occupait encore à solliciter, et le faisait vainement au mois de décembre de la même année [6]. 5°. Luther ne retint pas long-temps Mélanchthon ; car au contraire il fit des instances réitérées à la cour de Saxe pour ce voyage. Extant Lutheri ad electorem litteræ d. 17 Aug. datæ tom. vi. fol. 491, in quibus repetitis et enixissimis precibus contendit ut Philippus ad tres menses dimittatur. [7]. 6°. C’est une audace effroyable que dire que Mélanchthon, dans la lettre au roi, concluait par une excuse de ce qu’il n’était pas parti au moment que l’électeur son maître le lui avait permis. Il n’y a rien de tel dans sa lettre, et n’eût pu parler sans mentir de la permission de son maître. 7°. Le temps des placards ne devait pas être distingué de celui où l’on fit couler des billets dans la nef de François Ier. ; et en tout cas, si l’on voulait faire là une distinction, il eût fallu que les billets précédassent les placards. En effet, Florimond de Rémond, dont Varillas n’a été ici que le paraphraste, suppose que les hérétiques n’affichèrent des placards [8], qu’après avoir semé çà et là plusieurs livres,...... fait jeter dans le cabinet du roi leurs articles de foi par le moyen d’un valet de son apothicaire nommé Ferret, voire même des petits billets dans la nef dont on le servait à table [9]. 8°. Ce qui fut dit de plus fort contre la messe et contre les prêtres n’était pas dans ces billets, mais dans les placards [10]. 9°. On ne saurait donner de preuve que François Ier. ait contremandé Melanchthon : il le demandait encore au mois de décembre 1535, après la lettre qu’il avait reçue de l’électeur de Saxe, pleine d’excuses de ce que l’on n’accordait pas à ce docteur la permission d’aller en France. Il est donc très-vraisemblable qu’il ne fut jamais nécessaire que François Ier. le contremandât. 10°. Il est très-certain que les placards ne l’y engagèrent point ; car ils furent affichés au mois de novembre 1534. Le roi fit punir cette hardiesse, et expier cet outrage du Saint-Sacrement au mois de janvier suivant ; et il écrivit à Mélanchthon cinq mois après.

  1. Varillas, Histoire de l’Hérésie, tom. II, liv. X, pag. 326.
  2. Notez que Florimond de Rémond, liv. VII, chap. III, dit la même chose ; mais cette caution en demande une autre.
  3. Voyez Secbendorf, Histor. Lutheranismi, lib. III, pag. 109, 110.
  4. Seckendorf, ibidem, pag. 107.
  5. Ibidem, pag. 110.
  6. Ibidem.
  7. Idem, ibidem, pag. 107.
  8. Florimond de Rémond, Histoire de l’Hérésie, liv. VII, chap. V, pag. 859.
  9. Varillas attribue cela à ce valet ; il ne copie donc pas bien son original.
  10. Florimond de Rémond, Histoire de l’Hérésie, liv. VII, chap. V, pag. 859.