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MÉLANCHTHON.

magne sur plusieurs articles de la religion, qu’il se laissa persuader : de sorte que ce prince, qui d’ailleurs avait grande envie d’attirer en France les plus habiles hommes de son temps, écrivit [* 1] à Mélanchthon, et l’invita de venir à Paris pour y travailler avec nos théologiens au rétablissement de l’ancienne police de l’église [1]. » Il raconte ensuite de quelle manière le cardinal de Tournon rompit ce coup, et porta le roi à révoquer sur-le-champ la permission qu’il avait donnée à Philippe Mélanchthon [2]. Enfin il assure que ce changement étonna d’abord les hérétiques ; mais que sitôt qu’ils furent revenus de leur étonnement,.…. ils eurent l’audace d’afficher des placards remplis de blasphèmes aux portes du Louvre, et même à celle de la chambre du roi. Voici donc l’arrangement de ce jésuite. 1°. La reine de Navarre persuade au roi de faire venir Mélanchthon. 2°. Le roi écrit à ce docteur. 3°. Le cardinal de Tournon change ce dessein du roi. 4°. Les novateurs font des placards. 5°. Ces quatre choses arrivent l’an 1534. Florimond de Rémond les arrange dans le même ordre. Nous allons voir qu’ils se trompent ; et je suis bien surpris que Théodore de Béze soit leur complice : il dit, lui aussi [3], que l’affaire des placards fut postérieure à la résolution que François Ier. avait prise de faire venir Mélanchthon. Notez qu’il marque que ces placards furent affichés au mois de novembre 1534.

Voici une meilleure chronologie de tous ces faits. On afficha les placards au temps que Théodore de Bèze marque. François Ier. assista à une célèbre procession, le 21 de janvier 1535, et fit brûler quelques hérétiques. Mélanchthon fut exhorté de faire en sorte que la colère du roi fût adoucie. Il écrivit une lettre à Jean Sturmius qui étoit alors en France, et une autre à Jean du Bellai, évêque de Paris [4]. Un gentilhomme [5], que François Ier. avait envoyé en Allemagne, parla à Philippe Mélanchthon, touchant le voyage de France, et l’assura que le roi lui en écrirait lui-même, et lui fournirait toutes sortes de sauf-conduits [6]. Étant retourné en France, il donna parole au roi que Mélanchthon ferait le voyage, si sa majesté lui faisait l’honneur de lui écrire sur ce sujet [7]. Ce prince dépêcha tout aussitôt ce gentilhomme pour porter à Mélanchthon la lettre qu’il lui écrivait. Elle est datée de Guise, le 28 de juin 1535 [8], et fait connaître le plaisir qu’avait eu le roi en apprenant par la relation du gentilhomme, et par la lettre que Guillaume du Bellai avoit reçue de Mélanchthon, que ce docteur était disposé à venir en France, pour y travailler à pacifier les controverses. Mélanchthon écrivit au roi le 28 de septembre de la même année [9] : il l’assura de ses bonnes intentions, et du regret qu’il avait de n’avoir pu surmonter encore les obstacles de son voyage. Le gentilhomme qui porta au roi cette réponse le trouva tout occupé des préparatifs de la guerre d’Italie [10] : et d’ailleurs Mélanchthon ne put jamais obtenir du duc de Saxe la permission d’aller à la cour de François Ier. [11], quoique Luther eût exhorté vivement cet électeur à consentir à ce voyage, en lui représentant que l’espérance de voir Mélanchthon avait fait cesser en France les supplices des protestans, et qu’il y avait sujet de craindre qu’on ne rentrât dans les voies de la cruauté dès qu’on saurait qu’il ne viendrait pas [12]. L’électeur eut de très-bonnes raisons de ne point permettre ce voyage [13] : il craignait de s’exposer à la colère de Charles-Quint ; et il ne voyait nulle apparence que Mélanchthon fît quelque chose pour le bien de la religion. Il écrivit à

  1. (*) Epist. Francisc. Reg. ad Phil. Melanc., apud Flor. Rœm., l. 7, c. 4.
  1. Maimbourg, Histoire du Calvinisme, liv. I, pag. 25, à l’ann. 1534.
  2. Là même, pag. 29.
  3. Bèze, Hist. ecclésiast., liv. I, p. 15, 16.
  4. Camerar., in Vitâ Melanchth., p. 144.
  5. Nommé Barnabas Voré, sieur de la Fosse.
  6. Camerarius, in Vitâ Melanchthon., pag. 146.
  7. Idem, ibidem, pag. 151.
  8. Elle est la XXIXe. du Ier. livre parmi les Lettres de Mélanchthon.
  9. Cette lettre est la XXXe. du Ier. livre de celles de Mélanchthon.
  10. Camerar., in Vitâ Melanchth., pag. 153.
  11. Idem, ibidem, pag. 151.
  12. Luther., tom. VI, folio 491, apud Seckend., Hist. Lutheran., lib. III, pag. 107.
  13. Voyez Seckendorf, ibid., pag. 109.